Crépuscule de Drieu — ou son aube
Molet propose ici un pamphlet sous forme d’essai. Il est remarquable et s’élève face aux “imbéciles cacophoniques” qui affirment que Drieu n’a pas écrit de chef-d’œuvre, Mais s’en dit autant, note l’auteur (qui a bien raison), de Léon Bloy ou de Marcel Moreau.
Plutôt que demander aux idiots leurs avis, Molet leur cloue le bec en rappelant ce que Drieu a prouvé : “les romans ne doivent pas être romanesques.” Et l’auteur a su pratiquer jusqu’à son absence de dérision à la fois pour les gendarmer “et les croire exceptionnels dans la médiocrité.” Ce qui certes demeure facile à beaucoup…
A l’époque de Drieu comme dans la nôtre, “tout est défection. On se décharge de tout”. Et ajoute Molet : “Seule la jeunesse procure l’idée de plénitude partielle. En vieillissant, il ne reste que des bouts de pas-grand-chose”. L’auteur ne se prive pas des prosopopées qu’il affectionne et qui, dans ce cas, épouse bien l’écriture de Drieu comme sa réflexion sur la civilisation.
L’essai affirme que l’auteur honnis “possède une forme de superficialité suicidaire si délicate qu’elle mue en un colportage de la profondeur.” Et ce qui fut pris comme galéjades sur le déclin d’une nation fut un moyen de mettre le doigt là où ça fait mal. Et ce, au moment où tant d’écrivains d’hier (Sartre compris) ou d’aujourd’hui mitonnent dans une espérance idiote.
Drieu à l’inverse excave pour ronger le mal et réagir à l’effondrement immédiate que certaines idéologies — mais pas uniquement celles qu’on croit — laissaient prévoir. La crainte d’en mourir “n’interdit pas la jouissance de ne pas en réchapper” écrit Molet. Il précise : “Les hommes veulent parfois ce qu’ils craignent le plus dans une manière de soumission au plus petit dénominateur commun : la gloire de n’être plus rien.“
C’est comme s’il reprenait le monde là où Céline lui-même et Drieu (avec mort de Pauline dans son roman) l’avaient laissé. Et l’auteur de pousser le bouchon encore plus loin : “La mort des arts — non décrétée mais programmée – est une bonne nouvelle”. Mais d’ajouter qu’en attendant” il est possible de rire au théâtre en apportant son coussin péteur”. Il est néanmoins préférable de s’enthousiasmer comme Molet pour le récit de Drieu même si de son oeuvre ce n’est pas ce titre qu’il préfère. Mais en ce livre, “Hegel ressemble à Louis de Funès”, ce qui n’est pas rien.
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jean-paul gavard-perret
Valéry Molet, L’appel des décombres, Editions Unicité, Saint Chéron, 2023, 54 p.