Un magnifique roman d’intrigue et de suspense
Henri Poincaré est un élément stratégique d’Interpol-Lyon. Pendant les deux dernières années, il a traqué Stipo Banovic pour crimes de guerre. Parce qu’il est à Amsterdam pour superviser la sécurité d’un sommet de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), il profite de cette occasion pour faire face, une dernière fois, à cet assassin dans la prison de la Cour pénale internationale à La Haye. De retour à Amsterdam, il doit enquêter sur la mort, dans une explosion qui a totalement soufflé sa chambre de l’hôtel Ambassade, de James Fenster, un mathématicien. Celui-ci devait intervenir lors d’une conférence du sommet. Les premières analyses révèlent que l’explosif utilisé est un carburant spatial.
Avec les membres de son équipe et des policiers locaux, Poincaré suit quelques pistes. Madeleine Rainier, une jeune femme qui descendait régulièrement avec Fenster à l’Ambassade, est retrouvée logeant seule dans un hôtel, de l’autre côté du canal. Un interrogatoire informel n’apporte rien de probant et, malgré de forts soupçons des membres de son équipe, l’inspecteur la laisse libre. Un fragment de photo représentant la trace d’un éclair les interpelle. Parallèlement, les membres du groupe doivent se mobiliser sur un étrange attentat suicide à Naples et l’assassinat d’une assistante sociale à Barcelone. Et puis, une écoute non autorisée de la direction de la prison capte un message dans lequel Banovic ordonne d’éliminer toute la famille de Poincaré mais qu’il ne doit lui être fait aucun mal.
La Théorie du chaos est le premier roman publié de Leonard Rosen. Celui-ci prend pour personnage principal un “descendant” de Jules Henri Poincaré, (1854–1912), un des derniers grands savants universels, tour à tour mathématicien, physicien, philosophe et ingénieur. Ses travaux sont fondateurs des systèmes d’équations différentielles, de la théorie du chaos… C’est un précurseur majeur dans la théorie de la relativité restreinte. L’auteur propose un héros insensible à la beauté des équations mathématiques. Il privilégie la nature humaine, la défense de la spécificité de l’homme et son individualité, l’importance des sentiments, de l’instinct, de l’intuition, de la réflexion plutôt que le suivi mécanique de procédures toutes mâchées qui transforment l’individu en robot. Le volet humain, à ses yeux, reste essentiel, même si celui-ci est imparfait, sujets à erreurs, à errements, à oublis, à tâtonnements. Il démontre que la volonté, l’acharnement d’un enquêteur apportent significativement la matière de solutions.
Leonard Rosen fait d’Henri Poincaré un personnage magnifiquement humain, avec ses défaillances physiques et morales. Il décrit un homme qui a trente ans d’enquêtes derrière lui, qui est usé, malade, et voudrait vivre loin du crime et de ses horreurs. Avec ce héros, on est loin de ces détectives flamboyants, infatigables, qui savent toujours prendre la bonne décision au bon moment. De plus, il fait peser sur lui le poids des tensions de la traque, l’angoisse pour ses proches…
L’auteur introduit également une dimension mathématique forte, par le biais de la victime, dans le domaine des fractales. Il confronte, alors deux visions. D’un côté, une représentation mathématique avec des nombres et des symboles qui ne se rattachent pas aux choses de ce monde, une science qui dans ses diverses déclinaisons tente de modéliser, de mettre en équation l’être humain, le réduire à une formule qui résume toutes les personnalités. De l’autre, une vision d’un humanisme libre, différent d’un individu à l’autre. Le parallèle est remarquablement mené et donne une image aussi claire que possible des deux positions, des deux solutions, des deux “équations”.
Pour renforcer son intrigue, le romancier introduit, s’inspirant des plus radicaux fondamentalistes, une secte aux membres particulièrement gratinés, à l’image de ces intégristes incapables de la moindre réflexion. Il confronte également son héros, et son humanisme, au côté procédurier de sa fonction, aux circuits administratifs et législatifs qui brisent les élans, les fulgurances d’un esprit en chasse. Dans une préface érudite, Cédric Villani, un des meilleurs scientifiques actuels, met en parallèle un mathématicien renommé et son double humain, faisant la comparaison des deux parcours possibles.
Avec La Théorie du chaos, Leonard Rosen signe un magnifique roman d’énigme, de suspense, avec une intrigue remarquablement conçue, jouant sur un concept novateur mené avec maestria.
serge perraud
Leonard Rosen, La Théorie du chaos, traduit de l’anglais (États-Unis) par Hubert Tezenas, cherche midi, coll. « Thrillers », septembre 2013, 496 p. – 20 €.