Poèmes de minuit de Desnos et Cristina de Paloma Hermine Hidalgo alias Caloniz Herminia

La poé­sie ignore où est rangé le plumeau

Les cadeaux les plus chouettes sont ceux qu’on espé­rait secrè­te­ment, sans s’impatienter. Mais, à la dif­fé­rence des séries ou des films à épi­sodes, où tout est attendu, c’est-à-dire exact dans le cercle des répé­ti­tions, les cadeaux de livres sont espé­rés mais acci­den­tels. Ils émanent tou­jours de celle qui « vaut le coup de foudre » comme disait Paul Valéry pour qui un pré­sent doit être « l’étonnante inexac­ti­tude pro­bable ».
On devine alors la nature des fumi­gènes : on bave comme un chien devant l’os frappé sur la gamelle, mais en gueule, il peut s’avérer en plas­tique. C’est un peu comme une femme en porte-jarretelles qui minaude tout le repas, en s’alcoolisant et qui vous dit fina­le­ment « non, non, non, mon gars, je suis trop ronde ! ».
Quoi qu’il en soit, mon amou­reuse a eu le bon goût de m’offrir le der­nier inédit de Des­nos.
A priori, les inédits sont à la lit­té­ra­ture ce que la grève des éboueurs est à la pro­preté, c’est-à-dire une forme de mau­vais goût qui ne conduit pas exac­te­ment à pou­voir déjeu­ner dans le vide-ordures : ainsi, l’escroquerie récente des textes retrou­vés de Céline ou d’autres avant lui.

Mais il y a des excep­tions : l’exception n’est-elle d’ailleurs pas le sel de l’existence, ce qui poivre la sin­gu­la­rité et vinaigre le tru­blion ? Bref, avec Des­nos, près de Saint-Merri, entre un cor­net de frites et Amphi­trite, me voilà à rêvas­ser à la défi­ni­tion de la poé­sie : la poé­sie, ce sont d’abord les contraires dont elle s’inspire mais qu’elle ne vénère pas. La poé­sie, c’est l’inverse du bros­sage de dents, de la barque quo­ti­dienne qui tangue entre le néant et la mul­ti­pli­ca­tion du zéro, des vacances aux for­faits ren­ta­bi­li­sés, du cun­ni­lin­gus sans doigt dans le der­rière.
Ce sont certes des contraires mais sur­tout des avers, je veux dire
l’absence totale de gain de temps. La poé­sie est avant tout de la pen­sée, un ton et du tonus, c’est-à-dire l’affirmation de la nul­lité du temps favo­ri­sant le contre­sens augustinien.

En effet, Saint Augus­tin, parce qu’il avait trois ori­fices, a cru au trip­tyque tem­po­rel. C’est la rai­son pour laquelle il est théo­lo­gien et non poète ! Un mau­vais poète est un poète qui ne pense rien, qui écrit tou­jours la même ren­gaine alors que Des­nos aime­rait « mieux cre­ver que d’écrire à nou­veau le poème pré­cé­dent ».
En ce sens, la poé­sie ne s’oppose à rien : la poli­tique, les rela­tions sociales, l’éducation des enfants, l’oubli du cric pour chan­ger un pneu, l’affolement face aux sen­ti­ments per­dus n’existent sim­ple­ment pas. Il n’est pas non plus utile de lever sa cas­quette devant la ques­tion de l’Être.

La poé­sie ignore où est rangé le plu­meau, c’est pour­quoi même la cra­pu­le­rie n’est plus tout à fait une saleté. « Non, je ne hais point le néant vaste et noir / Je ne recueille­rai pas les ves­tiges du passé / Mais mon cœur n’est pas triste. » Avec Des­nos, la tris­tesse est éva­cuée du champ poé­tique : elle est trop molle pour ano­blir la mélan­co­lie et cette joie d’exister qui fait res­sem­bler tous les actes à des pré­faces de pro­pos limi­naires.
Ayant refermé Des­nos, j’ouvre un manus­crit. La plu­part sont des résu­més de l’horloge par­lante ou des spea­ke­rines météo­ro­lo­giques, sou­vent c’est même une pré­sen­ta­trice devant un orage qui regarde sa montre. C’est dingue le nombre de livres en attente d’un édi­teur qui com­mencent par mettre des bottes et un ciré ou zieu­ter des montres à gousset.

Ecrire ne devrait pas être auto­risé à ceux qui enfilent des après-ski et sont tou­jours à l’heure. Et là, je découvre une vraie poé­tesse : Paloma Her­mine Hidalgo alias Calo­niz Her­mi­nia. Pour­tant, ses thèmes ne sont pas les miens, même si elle aime Mar­cel Moreau. Elle her­bo­rise dans l’outrage. Une pâque­rette n’est qu’une abla­tion cli­to­ri­dienne. Oui, le pol­len est une sécré­tion.
Là, au milieu des luxu­riances végé­tales en forme de prête-nom por­no­gra­phique, d’une cui­sine où l’on écosse le petit pois et le
rosse mas­cu­lin, la parole s’invite où il n’y a rien à dire, où le silence même s’habille comme une aber­ra­tion avec ses talons plats pour se faire plus dis­cret, où l’anticipation vision­naire des camps de la mort de Des­nos épouse l’éjaculation non consen­tie sur une gamine.

A elles deux, elles forment cette toile d’araignée où les rêves enfan­tins s’accrochent sans périr, vam­pi­ri­sés par les son­ge­ries d’adultes veni­meux qui croient qu’une marelle gar­dienne le désir des jeunes filles pour les ser­vir. Ici, les fleurs, les arbustes, toute cette sau­va­ge­rie cade­nas­sée ren­voient à la pré­té­ri­tion des per­vers qui ne diront rien des seins qui com­mencent à poin­ter, tout en dési­gnant les corolles rouges comme si la bota­nique décon­fi­sait la dif­fé­rence d’âge et la vio­lence sexuelle qui n’en est pour­tant pas le méca­nique effet.
Qu’est-ce que la souf­france ? semble-t-elle nous dire, inca­pable de s’ôter le tison rougi qu’elle a sur l’âme contrai­re­ment à Sade pour qui l’intromission gal­va­nise l’alexandrin qui n’a que quatre lettres.

La souf­france singe par­fois la voix d’une mère qui est « un air de viole sur un tapis d’oursins ». Alors, comme on n’est pas sérieux lorsqu’on 55 ans, on en vient à se deman­der pour­quoi Paloma Her­mine Hidalgo se réfu­gie dans la liane, le fuch­sia et les plantes aro­ma­tiques pour dire les gaz méphi­tiques, la puru­lence et le sperme périmé.
Cette fausse ques­tion, qui longe tous les fleuves comme des péniches emplies de maté­riaux de construc­tion, amène la vraie réponse : c’est parce que, c’est exac­te­ment cela la poé­sie ! La poé­sie, c’est l’inavouable suc­cès des per­dants, c’est le mal­heur qui jette ses mules par mépris des cha­ren­taises, c’est le voyou russe qui affirme que « mou­rir en cette vie n’est pas nou­veau, mais vivre, assu­ré­ment n’est pas plus neuf », c’est la tour Eif­fel qui fait paître ses ponts, c’est le viol qui ren­verse les constel­la­tions dont les trous sont aussi noirs que les vagins abî­més. Elle fait du
mot le contraire d’un pan­neau signa­lé­tique vers la cantine.

La poé­sie n’applique aucun taux sur la réa­lité parce qu’elle mécon­nait toutes les grosses ficelles des gens qui vivent dans le réel. La poé­sie n’a pas de miroir et n’imagine pas la lumière qu’elle ne repasse pas : le réel est fripé et l’imagination, une concier­ge­rie jamais ouverte. C’est un monde dans lequel les chiffres et les lettres ne sont pas pos­sibles car il n’y a plus ni vieux, ni jeunes, ni villes pro­vin­ciales. Il y a ce que nous sommes : une pul­vé­ri­sa­tion vers l’inexistence que l’ironie du néant annule !
Avec sa
Cris­tina publié aux édi­tions Réal­gar, Paloma Her­mine Hidalgo loge le plon­geon dans le saut, très loin du jeu des « voyelle » et « consonne ». Avec elle, on peut rire une fois encore de consonne « c », voyelle « a », consonne « c », voyelle « a ». Mais, avec elle, la poé­sie n’articule pas l’alphabet, elle nous sonne tant elle sonne.

Nous sommes alors très éloi­gnés du tri­angle idio­phone fai­sant du pied au toc­sin de jungle. Comme Jean-François Sté­ve­nin ne sera jamais « cinéaste », Hidalgo ne sera jamais « une femme qui écrit » : pour cause, elle ne regarde jamais le ciel le matin et ne sait pas que les montres à quartz ont existé.
Mais la poé­sie roule dans son ver­ger, là où le roi de Baby­lone a inventé la ver­si­fi­ca­tion en regar­dant le drame se perdre dans sa propre per­pé­tua­tion. La poé­sie est ce spec­ta­teur ignoré au fond de la salle obs­cure qui, seul, n’assimile pas l’achèvement du sus­pense aux géné­riques de fin.

Elle ne parle que de la beauté qui jamais ne passe, même dans le jar­din des sup­plices. C’est pour­quoi, comme Des­nos, Hidalgo est une vraie poète puisque « la dou­ceur (la) roue » comme jadis on per­dait sa vie par délicatesse.

valery molet

Robert Des­nos, Poèmes de minuit, inédits 1936–1940, Seghers, 9 février 2023, 151 p. — 15, 00 €.

Hidalgo Paloma Her­mine, Cris­tina, LE REALGAR , 8 juin 2023, 80 p. — 12,00 €.

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