Pour nous sauver du roman, les poétesses

Pour nous sau­ver du roman, les poétesses

A nos amours de Pia­lat est un grand film, allez savoir pour­quoi ? En effet, tout y est banal, ban­cal, bateau. Et pour­tant c’est magni­fique.

J
e n’aime pas déter­rer les cadavres, pas plus que fouiller les cime­tières à la recherche de l’inventeur de la pelle à tartes — allez en com­prendre la rai­son -, pour­tant, j’aimerais évo­quer Jean Yanne, sa drô­le­rie, sa bou­gon­ne­rie dont la légende vou­drait qu’elle fût une par­tie d’une saga sur l’espièglerie sur­jouée ou l’incidence de la mufle­rie.
Au moins avec lui comme pré­sident du Nobel, la lit­té­ra­ture res­te­rait un résidu d’un canu­lar qu’une pat­te­mouille aurait lus­tré jusqu’à deve­nir indi­geste comme un roman d’agrégé de lettres.

Je ne sais pas s’il y a un rap­port de cau­sa­lité mais, depuis la dis­pa­ri­tion de Jean Yanne, l’aventure roma­nesque mime, à s’y méprendre, le fac-similé d’une rédac­tion per­pé­tuée en note de syn­thèse, sin­geant elle-même la splen­deur d’un can­dé­labre élec­tri­fié. Depuis le Son­net du trou du cul et le Cor­beau blanc de Sta­siuk, il semble que la posi­tion d’Albert Mérat et de ses suc­ces­seurs se soit affer­mie au détri­ment de Mon cher Albert.
Hor­mis les livres de Cha­la­mov, la lit­té­ra­ture poli­ti­sée est tou­jours vul­gaire. Quand les écri­vains s’inoculent du poli­tique, cela donne le même sen­ti­ment qu’un héron jouant de la cla­ri­nette au-dessus d’un lac bru­meux ou, à l’inverse, un pré­sident de chambre psal­mo­diant du Denise Le Dan­tec, avec une langue en forme de bombarde.

Alors pour­quoi y a-t-il quelque chose plu­tôt que rien ? Fran­che­ment, je n’en sais pis que pendre. Ne serait-il par­fois pas plus miri­fique qu’il n’y ait rien plu­tôt que quelque chose? Qu’il y ait Jean Yanne plu­tôt que le énième télé­gra­phiste de la lit­té­ra­ture pro­fes­so­rale ? Ou plu­tôt rien que rien ?
Me per­dant dans un abîme de dial­lèle contem­plant le fond d’un puits marié à un gouffre, je me mets à chan­ton­ner : « Tu fais pour moi des choses aphro­di­siaques /Tout nu dans la cui­sine, tu me lis du Mau­riac » et, mar­mon­nant, le sou­rire aux lèvres, j’enchaîne « je t’aime libre­ment comme on fuit l’éloge » de Eli­sa­beth Brow­ning. Et loin de ces trou­blantes ques­tions sur la manière dont Jean Yanne aurait traité l’impossibilité d’être un écri­vain sans pas­ser de concours de la fonc­tion publique, je me plonge, tout décon­te­nancé, dans la poé­sie magni­fique de Kiki Dimoula et son « abon­dance veni­meuse de contraires ».

Heureu­se­ment qu’il y a les Grecques, les Amé­ri­caines et quelques Fran­çaises incon­nues de l’antinomique grand public, cela empêche la tri­co­lo­ri­sa­tion des esprits et favo­rise la pro­gres­sion vers le moins : « peu à peu je vide ce que j’ai pu ». Loin de la Suède, rou­cou­lant du Jean Yanne, piau­lant du Pia­lat, je sou­pire d’aise à côté de femmes uniques comme Kiki, Syl­via, Eli­sa­beth et Denise.
Les femmes ne sont peut-être pas l’avenir de l’homme, mais les poé­tesses contre­carrent tout bêle­ment pas­séiste en nous éloi­gnant autant du gâtisme de la nos­tal­gie que du sca­phandre évidé, abys­sa­le­ment bêtasse, de la lit­té­ra­ture enga­gée. Rien que pour cela, il fau­drait chan­ger de sexe comme de discussion.

Avant de vous quit­ter pour le monde meilleur du silence, j’aimerais dans un stu­pide paral­lé­lisme des formes évo­quer toutes mes non-lectures du mois de sep­tembre. Silence. Silence. Silence. Silence. Voilà les quatre romans que je n’ai pas ouverts, ayant consi­déré que je les avais dépas­sés sans même les feuille­ter. Dans les deux pre­miers que je n’ai pas lus, il s’agissait de romans avec des intrigues, des per­son­nages, des bal­cons sur les­quels on médite, des fleu­ristes qui com­posent des vers comme on écourte des tulipes, des mamans qui pensent que la mater­nité est le contraire de ce vers quoi le contraire tend, des papas qui n’aiment pas tant que cela les verbes dis­joints « réus­sir » et « échouer » sans bien com­prendre les acro­nymes, de caval­cades dans le désert où rien ne pousse, pas même une galé­jade.
Dans les deux autres romans sans empreinte de doigts, on évo­quait la dureté des temps et des salades sous plas­tique, les cel­lules can­cé­reuses en haute mon­tagne, la crise de la crise dans l’empire des désastres et le pro­blème de la remise en selle du ruta­baga. Bref, je n’ai rien loupé en me disant avec Kiki Dimoula : « l’Homme, par exemple, pour­quoi veut-il à tout prix s’écrire avec deux m ? ».

Et d’ajouter que Jean Yanne est fina­le­ment le grand-père idéal, filmé ou non par Pialat.

valéry molet

Leave a Comment

Filed under En d'autres temps / En marge

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>