Gianni Biondillo, Le matériel du tueur

Un vir­tuose de la digres­sion sur les sujets les plus divers et les plus inattendus !

Ce roman signe le retour de l’inspecteur Michele Fer­raro, poli­cier ico­no­claste, aux intui­tions flam­boyantes, héros de Pour­quoi tuons-nous ? et La Mort au cœur (Edi­tions Joëlle Los­feld 2006 – 2009). Par contre, on peut regret­ter les trop courtes appa­ri­tions d’Augusto Lanza, cette sorte d’extraterrestre, tra­vaillant dans un bureau de l’Agence Euro­péenne à Bruxelles.
C’est à la pri­son de Lodi que tout débute. Haile, un pri­son­nier presque modèle, doit être emmené à l’hôpital, l’infirmier étant dépassé par le sai­gne­ment gas­trique de l’homme. Sur le tra­jet, dans un brouillard épais, l’ambulance est atta­quée à l’arme lourde. Le pri­son­nier s’enfuit lais­sant les cadavres des ambu­lan­ciers, du gar­dien et… de trois hommes de la Camorra.
L’énigme, jugée d’importance, est confiée à un groupe d’enquêteurs, du Ser­vice Cen­tral Opé­ra­tion­nel (SCO) de Rome, mené par la com­mis­saire Elena Rinaldi.
Paral­lè­le­ment, un chef d’entreprise et un Rom cam­brio­leur se sont entre­tués. Les ins­pec­teurs Fer­raro et Coma­schi sont char­gés de l’affaire. La com­mis­saire et son équipe, sur place rapi­de­ment, ne recueillent que peu d’éléments. Haile a été arrêté, par Fer­raro, pour une brou­tille, une bagarre dans un bar. Le lien avec la Camorra est mys­té­rieux. La com­mis­saire ren­force son équipe en deman­dant le déta­che­ment de Fer­raro. Ils se connaissent bien, ayant vécu ensemble quelques années, à Rome. Mais l’intérêt pro­fes­sion­nel reste pré­pon­dé­rant. Lanza, lors d’un contact télé­pho­nique avec Michele, pose une ques­tion des plus sau­gre­nues : ” Quel match ils don­naient à la télé­vi­sion le soir où tu as arrêté cet homme ? ” En creu­sant, l’équipe découvre que cet inconnu est un tueur impla­cable qui pour­suit un but énig­ma­tique. Sa traque va mener le groupe à tra­vers l’Italie, jusqu’à…

Gianni Bion­dillo pro­pose deux enquêtes menées dans des condi­tions et avec des méthodes bien dif­fé­rentes. L’une est conduite par deux poli­ciers dans un cadre local avec les moyens limi­tés clas­siques, l’autre fait appel à une unité d’élite, à des rela­tions inter­ser­vices sur un ter­ri­toire beau­coup plus large. Mais, les fausses pistes, les indices qui mènent à des impasses, le com­por­te­ment erra­tique de l’individu pour­suivi, ali­mentent la ten­sion d’intrigues sophis­ti­quées, aux mul­tiples rebon­dis­se­ments. Les liens avec le passé, les rap­ports actuels entre les peuples, les nou­veaux domaines d’action du grand ban­di­tisme, servent à nour­rir un sus­pense qui ne se dément pas.
Mais la pro­gres­sion et le dérou­le­ment de ces enquêtes, aussi pas­sion­nants soient-ils, ne réus­sissent pas à mas­quer toute la richesse des apar­tés, de la struc­ture nar­ra­tive et lexi­cale, la pro­fon­deur psy­cho­lo­gique de l’histoire et des per­son­nages. Gianni Bion­dillo réa­lise un superbe tra­vail sur la nar­ra­tion, en variant le mode, alter­nant des séquences éru­dites, des dia­logues étin­ce­lants avec des échanges d’une pau­vreté navrante, mais si authen­tiques, si proches de la réa­lité quo­ti­dienne. Il pro­pose, par exemple, un échange télé­pho­nique où il met entre paren­thèses, sous les phrases pro­non­cées, les non-dits, le sens cachés des mots, des expres­sions. Autre exemple : l’auteur, en un long para­graphe, décrit l’ouverture d’un paquet de ciga­rettes et l’allumage de la pre­mière. C’est banal mais pre­nant ! Il émaille son texte d’images ori­gi­nales, d’un grand réalisme.

Sa gale­rie de per­son­nages inha­bi­tuels fait défi­ler toute une huma­nité impro­bable, à l’image de celle que génèrent nos socié­tés modernes. Outre le couple de héros empa­thiques, il anime, avec tru­cu­lence, un prêtre ouvrier rayon­nant d’une véri­table force spi­ri­tuelle, prag­ma­tique, adap­tant les dogmes à la réa­lité ; un tra­velo pathé­tique ; éta­blit des rap­ports com­plexes entre les poli­ciers du groupe d’élite et des liens sub­tils et curieux avec leur supé­rieure…
Il joue abon­dam­ment avec les sou­ve­nirs des uns et des autres, fai­sant revivre les épi­sodes du passé qui éclairent le pré­sent, les causes, les moti­va­tions des actes et leurs rai­sons. Mais aussi il dépeint nombre de situa­tions dra­ma­tiques, celle des quar­tiers pauvres de Milan et de son agglo­mé­ra­tion, celle de l’Afrique avec ses nou­veaux tra­fics d’esclaves…

Le sexe, comme dans la vie cou­rante occupe une place impor­tante. Selon les pro­ta­go­nistes, il se montre tri­vial, avec des pul­sions bru­tales, ou réservé, usant à mots cou­verts des plai­sirs qu’il offre quand il est par­tagé et non tarifé. Il se fait mélan­co­lique lorsqu’il évoque la soli­tude, le temps qui passe trop vite, les occa­sions man­quées.
Le maté­riel du tueur est un livre d’une richesse excep­tion­nelle, qui se lit avec pas­sion tant l’auteur sait mon­ter une intrigue, la faire évo­luer, s’égayer sans cesse dans des digres­sions sur les sujets les plus divers et les plus inat­ten­dus, avec un art consommé du récit.

serge per­raud

Gianni Bion­dillo, Le maté­riel du tueur, tra­duit de l’italien par Serge Qua­drup­pani, Édi­tions Métai­lié, coll. « Biblio­thèque Ita­lienne – Noir, mai 2013, 360 p. – 20,00 €.

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