Sven Egil Dahl est vivant !

La lit­té­ra­ture n’est qu’un point d’impact

Tous les grands cinéastes scan­di­naves se nomment Trier. Joa­chim Trier aime Drieu La Rochelle et Sven Egil Dahl. Pour une fois qu’un réa­li­sa­teur n’invoque pas la lit­té­ra­ture amé­ri­caine et son pan­théon psychanalytico-universitaire, on ne peut qu’applaudir, même avec des mains cou­pées au ras du poi­gnet dont les veines sont à vif.
On arrive même à aller au bout du film, avec cette face de fesses que revêt tout spec­ta­teur. Der­rière le roman amé­ri­cain se dresse le scé­na­rio. La lit­té­ra­ture scé­na­ri­sée est deve­nue à la mode. Comme les tanks pour le com­plexe militaro-industriel, les romans scé­na­ri­sés sont les géné­raux d’une usine à fabri­quer des his­toires visuelles.

Quand je pense qu’on en est encore là : c’est comme si Sterne et Dide­rot n’avaient jamais existé. La lit­té­ra­ture mérite mieux qu’une tran­chée, des mis­siles télé­gui­dés et des lunettes de vue noc­turne. Racon­ter une belle his­toire, écrire un roman, c’est un peu se mas­tur­ber dans les toi­lettes alors que la reine des cochonnes vous attend dans votre lit !
Le récit est la méto­ny­mie de la rin­gar­dise, une alli­té­ra­tion magique du rien, du risible et du ratis­sage des ratés. Le roman échoue dans le verbe sérié, logique, comme si les faits avaient une exis­tence réelle.

Parfois, j’écoute des roman­ciers, sou­vent avec un haut-le-cœur, lorsqu’ils parlent de leurs livres. C’est tel­le­ment affli­geant : « le héros ren­contre sa belle-mère qui est, en fait, la déesse de l’amour. Mais per­sonne ne le sait car elle aime Carl, qui est un mili­tant contre les ver­ge­tures et le sucre de bet­te­rave ». Par­fois, le cachot est une solu­tion.
Pour­quoi ne parle-t-on jamais de Sta­siuk, de Stuart Dybek, de Hedayat, de Khleb­ni­kov ou de Sven Egil Dahl ? Ils ne savent pas écrire de scé­na­rios. Ils ne sont pas colo­ni­sés par la saxo­ni­sa­tion de la fic­tion. Ils ne disent pas, pre­nant un air pro­fond, que « leurs héros leur res­semblent ou que, oui, c’est un peu leur vie, etc…».

Un écri­vain, ça ne sait ni par­ler ni se vendre. Chez eux, les tapis ne sont jamais en solde. Quand ils les net­toient par-dessus les bal­cons, les gueules d’en-dessous ne s’en aper­çoivent pas, même si elles se déforment atro­ce­ment au contact de ces pous­sières char­gées du poi­son de ce qu’on ne connaît pas encore.
La lit­té­ra­ture n’a rien avoir avec la vie car l’existence n’est qu’une forme de la léga­lité, c’est-à-dire une res­serre dans laquelle la boite de conserve des émo­tions est acco­lée au pot-de-chambre bio­lo­gique. La lit­té­ra­ture est le len­de­main de la soli­tude, quelque chose qui n’existera que lorsqu’elle aura déjà dis­paru. La lit­té­ra­ture n’est qu’un point d’impact. J’imagine une série télé­vi­sée sur le point d’impact en trois saisons.

La créa­tion est une manière d’altération chro­mo­so­mique. C’est un mon­go­lisme défi­cient en somme. On ne peut cap­ter l’attention de quelqu’un avec une véri­table créa­tion. Pour moi, créer, c’est être dans un gou­lag à cou­per du bois, pour en faire des allu­mettes et les brû­ler sur place, faute de trans­port fer­ro­viaire pour les ache­mi­ner à Mos­cou ! L’exact inverse du scé­na­rio ou de l’histoire à racon­ter !
Etre écri­vain ou créa­teur, comme le dit Sven Egil Dahl, dans sa lettre d’adieu, avant son sui­cide, en 2010, c’est ne pas souf­frir de la soli­tude mais souf­frir de la mul­ti­tude. Et la mul­ti­tude n’aime que les his­toires avec des per­son­nages qui ont des rela­tions entre eux ! Sinon, per­sonne ne par­ti­rait en vacances ou ne s’intéresserait à sa vie professionnelle.

Naître, en ce sens, c’est le contraire de créer ! La nais­sance implique la des­truc­tion, cette fumis­te­rie fan­tôme. La créa­tion est sans cause et sans effet, inno­cem­ment ano­nyme. La défi­nir, ce serait résu­mer L’Histoire uni­ver­selle de Bos­suet avec un cer­veau de tri­cé­ra­tops !
Tout cela pour dire qu’il faut voir Oslo, 31 août, de Joa­chim Trier, his­toire de sai­sir pour­quoi le sui­cide est une façon de ne pas nager dans une pis­cine, la veille de sa vidange et de sa fer­me­ture, après une nuit d’excès.

Sinon, met­tez des cailloux dans vos poches et avan­cez dans l’eau du lac. S’ouvrir les veines n’est pas une addic­tion. C’est une drogue que l’on ne prend qu’une fois. Juste avant de périr d’ennui en lisant Phi­lip Roth !
Il suf­fi­rait juste de savoir que la poé­sie est l’avenir de la fic­tion et les silex pour allu­mer la flamme roma­nesque n’auraient plus d’utilité.

valery molet

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