Danielle Martinigol, Cantoria

Une civi­li­sa­tion qui ne vit que par le chant

Notre civi­li­sa­tion s’est construire, dans des temps anciens, sur la force mus­cu­laire, puis sur l’énergie tirée du char­bon, du pétrole, de l’atome… Danielle Mar­ti­ni­gol ima­gine un monde où la seule source d’énergie exploi­tée est celle géné­rée par le chant humain. Elle n’est uti­li­sée que dans trois domaines : le culte de la déesse Astrale, les vaisseaux-orgues des princes et les vapoa­vions des familles nobles et des cen­trales pour action­ner des tur­bines élec­triques. À par­tir de ces don­nées, elle construit une société théo­cra­tique au carac­tère dic­ta­to­rial très appuyé. Elle met en scène une grave menace venue de l’espace, une révo­lu­tion contre l’ordre éta­bli, dont le prin­ci­pal moteur relève, certes, d’un souci de jus­tice, mais est sur­tout motivé par l’amour que se portent deux jeunes gens.

Khena, la fille du prince de Vila­nelle, est deve­nue une Voix. Elle doit entrer dans un cœur-base du can­to­rium, à la capi­tale, pour chan­ter les louanges de la déesse. Sotto d’Ugal est l’élève archi­viste de Maître Kal­var. Il accom­pagne deux hauts digni­taires reli­gieux qui viennent cher­cher la prin­cesse. Arth est le fils adop­tif d’un envoû­teur et d’une char­me­resse. Il pos­sède une voix peu com­mune. Il a, avec sa mère, soi­gné Khena, deve­nue muette à l’âge de douze ans. Depuis, il en est amou­reux. La nou­velle de son départ pour la loin­taine capi­tale le bou­le­verse. Il se lance dans un chant d’adieu, auquel répond Khena. Ce duo inter­pelle Sotto. Il use de ses pou­voirs pour faire embar­quer le jeune homme, contre l’avis des reli­gieux. Mais, à leur arri­vée à Can­to­ria, Arth est laissé seul. Il ne peut entrer dans le can­to­rium que s’il a satis­fait aux tests, des tests mani­pu­lés… Furieux, il crie sa colère et sus­cite un mou­ve­ment de révolte qui prend de l’ampleur chez tous ceux qui sont dupés.
Cepen­dant, les auto­ri­tés sont inquiètes, une menace tapie au fond de l’espace s’est mani­fes­tée. Deux cou­rants s’opposent, chez les princes, sur l’origine de la magie. Les uns défendent une expli­ca­tion scien­ti­fique alors que les autres y voient les remer­cie­ments de la déesse pour leurs dévotions.

L’auteur conçoit un monde dédié au chant et orga­nisé uni­que­ment en fonc­tion de celui-ci. Les noms et pré­noms sont emprun­tés à des appel­la­tions et à des rythmes musi­caux. La vie quo­ti­dienne est caden­cée par le chant. Elle ins­talle, comme dans toute société humaine, des nan­tis par la nais­sance, par leur voix ou par la filière reli­gieuse. On trouve, ainsi, une hié­rar­chie avec les Voix, les hauts-chanteurs et les bas-chanteurs tout justes bons à pro­duire de la vapeur.
Mar­ti­ni­gol décrit, paral­lè­le­ment, la main­mise par les reli­gieux, asso­ciés à quelques familles régnantes, sur cette société. Elle dénonce l’exploitation des popu­la­tions : « Sans la cré­du­lité des popu­la­tions qui tra­vaillent pour nous, que deviendrions-nous ? Des pauvres ? » Elle montre les argu­ties uti­li­sées, les céré­mo­nials dont le seul but, pour cette mino­rité, est de s’assurer et de conser­ver des avan­tages. Elle décor­tique le fonc­tion­ne­ment d’un tel sys­tème, dénon­çant, non le besoin, pour l’Homme, d’un cor­tège de croyances, d’une reli­gion, mais les reli­gieux qui exploitent ce tra­vers humain.

Certes, Danielle Mar­ti­no­gol use de quelques rac­cour­cis scé­na­ris­tiques, mais l’histoire est pre­nante par sa nou­veauté, par sa fraî­cheur de ton, par l’empathie pour les per­son­nages ou la répul­sion pour les plus odieux. Can­to­ria se révèle une très bonne sur­prise, une de plus par une auteure cou­tu­mière du fait.

serge per­raud

Danielle Mar­ti­ni­gol, Can­to­ria, L’Atalante jeu­nesse, coll. « Le Maedre », février 2013, 256 p. – 12,50 €.

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