Soulever tout ce qui se cache
Anna Jouy propose ici des histoires de famille. Elle rapièce ce qui était décousu ou trop mal cousu car “Après tout, les femmes sont toutes des tacons généalogiques ! Hyacinthe, Maria Agathe, Emma, Marguerite. Et moi. ”
Sa famille a choisi le secret. L’auteure le dégoupille pour traduire ce qui se cache derrière la mère des hommes ou celle qui est restée vieille fille. La première ne connut qu’une flopée de gosses qui “s’entassaient dans la même chambre”. En bonne mère, “Elle en a appris les appétits, les péchés de chair, ceux que les prêtres arrachent de la bouche quand ils tiennent leurs ouailles à genoux dans ses isoloirs. Elle a appris qu’il fallait se purifier de ces choses dégoûtantes, nécessaires mais dégoûtantes.“
Car elle sait que l’amour trop souvent échappe au coeur pour descendre dans le ventre.
Anna Jouy explore des démons ou ce qui est pris pour tels. Et dans ce but, elle a punaisé sur la table les photos des protagonistes de l’histoire “comme une cartomancienne” puisque toutes ces femmes appartiennent au gens du voyage.
Certaines sont des beautés furieuses, d’autres sont laiderons : mais là n’est pas, n’est plus la question.
Elles se sont tues, néanmoins l’auteure leur redonne voix, épèle leurs silences, réanime leurs images. C’est une reprise contre tous les baillons à coups de superbes descriptions et évocations. Au besoin, elle imagine pour exprimer l’aphasie.
C’est cet empêchement qui la pousse à écrire, “parce qu’il faut que ça sorte” là où du silence se perce l’énigme au nom de la mère, du père et de toutes les femmes de la maison que, en mourant, ce père “a fermée, comme si de rien n’était,”
Revendiquant son propre étonnement pour les gens, les choses et les secrets qu’ils recèlent, la poétesse poursuit le désir de soulever tout ce qui se cache ou qu’on lui cache.
jean-paul gavard-perret
Anna Jouy, Filière de femmes, éditions Sans Escale, Paris, 2022, 124 p.