Dominique Preschez, Leçon de ténèbres

Paysages et escales avec vues

Ecri­vain, com­po­si­teur, orga­niste et pro­fes­seur de com­po­si­tion au Conser­va­toire Inter­na­tio­nal de Musique, Domi­nique Pre­chez, jusqu’à sa mort pré­ma­tu­rée en 2021, a fait preuve d’indépendance esthé­tique, tant en lit­té­ra­ture qu’en musique.
Les deux médiums témoignent chez lui d’un “vita­lisme propre à la vie en toute créa­tion” écrivait-il.

Dans sa post­hume Leçon de ténèbres, tel un ron­geur, l’auteur se fait les dents sur ses sou­ve­nirs et sur l’invention d’un ima­gi­naire de “creux-ation”  là où des sou­ris dansent de gré ou de force car il faut se résoudre à l’humanité gri­gno­tante. Pres­chez dédie ses 14 nou­velles, qui sont autant de courts-métrages, à “ses frères au lait d’héroïnes” au corps blessé “pro­jec­tions des com­mu­nau­tés de la nuit… beauté du rêve éveillé”.
Il y a là des monstres, fous et cri­mi­nels qui vont jusqu’au bout de la vie et de l’enfer au sein “d’histoires d’une alié­na­tion, de notre malé­dic­tion d’écrire”. Chaque his­toire s’impose aux lec­teurs là où l’auteur ana­lyse par l’exemple l’amour, la mémoire, la vio­lence et la mort.

Le seul régime de tels “dits et récits” est celui de la langue en folie dans la satu­ra­tion de conte­nus où la nos­tal­gie reste l’idéal de toute lit­té­ra­ture : mais ici elle n’est pos­sible que dans une pro­gres­sion par­ti­cu­lière. Elle n’a rien de puri­fi­ca­trice mais où la honte n’existe plus et ce, pour évi­ter cer­taines dou­leurs à la res­pi­ra­tion.
Cette avan­cée  de la fic­tion, seule la mort de l’auteur en a stoppé la tra­jec­toire. Ses textes défilent par une per­pé­tuelle mul­ti­pli­ca­tion, une per­pé­tuelle des­truc­tion de tout ce qui ris­que­rait d’immobiliser les per­son­nages cen­traux dans quelque figure déter­mi­née. Si bien que ces textes sont par essence révo­lu­tion­naires en leur alter­nance d’auto-création et d’auto-négation et une vio­lente mani­fes­ta­tion de l’écrivain lui-même saisi — sans doute incons­ciem­ment — d’une urgence.

Les nou­velles par-delà leur ima­gi­naire fan­tas­ma­go­rique accom­plissent les dédou­ble­ments de l’auteur dans une écri­ture de réflexion. Celle-ci pro­gresse à mesure que l’écriture avance. D’où l’apparition d’une lit­té­ra­ture de l’aveu.
S’y recon­naissent cer­tains pay­sages et situa­tions, mais vus avec un éclai­rage et un point de vue aux­quels nous n’avons pas accès le plus souvent .

Les textes sont por­tés par un élan sub­jec­tif et sen­sible d’une rare beauté là où la vie demeure. L’auteur se plaît à dis­tordre les corps, à per­cer la psy­ché et à ren­ver­ser le por­trait afin d’y joindre l’humour , le mixage des genres et le brouillage des mœurs avec un goût pour le côté noir du psy­chisme et de la condi­tion humaine.
Usant du  gro­tesque, du macabre, du mons­trueux et du sinistre, Pres­chez  s’en joue afin de créer une beauté dys­mor­phique. Et même si le livre traite — aussi — de l’écriture, celle-ci n’est pas objet pour elle-même même si elle s’inscrit ici dans le mode de repré­sen­ta­tion qui lui est propre.

Bref, la fic­tion n’adhère pas au point de dis­pa­raître en elle. La réflexion qui lui est inhé­rente devient pré­ci­sé­ment le mou­ve­ment par lequel elle s’arrache à la fas­ci­na­tion du contenu. C’est pour­quoi un tel ensemble com­prend un flot­te­ment entre la naï­veté inhé­rente à la créa­tion et la réflexion dans un mou­ve­ment fon­da­men­tal et néces­saire.
De la sorte, la lit­té­ra­ture témoigne à sa façon du “plus abs­trait des arts” (Scho­pen­hauer) qui accom­pa­gna Pres­chez : la musique.

Ici, elle relève  de bien  des silences au sein de rituels bar­bares ou non. Tout ne cesse de s’y mani­fes­ter en mou­ve­ments.
S’y donnent en par­tage des révé­la­tions de mer­veilleux mys­tères et d’austères “véri­tés” en des cou­leurs étranges où les héros, même bafoués, gardent leur dignité jusqu’au plus beau et der­nier des textes de l’ouvrage.

jean-paul gavard-perret

Domi­nique Pres­chez, Leçon de ténèbres, Tin­bad, Paris, 2021, 184 p.- 19,00 €.
En librai­rie le 12 septembre.

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