Bernard Grasset, Rachel : Victimes ? & En souvenir de Pasia Avramzon

Après une enfance ven­déenne, Ber­nard Gras­set découvre l’art (peintres, musi­ciens) au cours de ses études de phi­lo­so­phie, dans le Quar­tier Latin, à Paris, en même temps qu’il se nour­rit de grandes voix poé­tiques. Publié régu­liè­re­ment en revues, il est l’auteur d’une ving­taine de recueils, d’un récit de voyage en Grèce, d’un livre d’art, d’articles lit­té­raires ou de recherche et de six essais, dont plu­sieurs consa­crés à Pas­cal.
Pre­mier tra­duc­teur en fran­çais de Rachel, il est aussi tra­duc­teur de poé­sie grecque contem­po­raine. Doc­teur en phi­lo­so­phie de l’Université de Poi­tiers, il aime reve­nir aux loin­taines sources de notre culture occi­den­tale. Expé­ri­men­ta­teur d’une écri­ture poé­tique bilingue (hébreu-français, grec-français), il voit dans la poé­sie comme une aven­ture qui nous ramène vers l’origine et ins­crit notre exis­tence dans la vérité.

Der­nières publi­ca­tions : Olga Votsi, L’escalier, éd. bilingue Le Taillis Pré ; Brise, éd. Jacques André ; Ainsi par­lait Pas­cal…, éd. Arfuyen.
Pro­chaines publi­ca­tions :
Yòr­gos Thè­me­lis, éd. bilingue, Ars poe­tica et Poèmes bibliques, éd. Res­sou­ve­nances ; Nietzsche et Pas­cal, éd. Ovadia.

Rachel : Vic­times ? et En sou­ve­nir de Pasia Avram­zon (deux articles tra­duits de l’hébreu et pré­sen­tés par Ber­nard Grasset)

Rachel Blau­stein, connue sous le pré­nom de Rachel choisi comme nom d’auteur en écho de la femme de Jacob, est née au début de l’automne 1890 à Sara­tov en Rus­sie. Fille tar­dive d’Asir Blau­stein et de Sophie Man­del­stam, elle gran­dit dans un milieu fami­lial où le reli­gieux se joi­gnait au cultu­rel. Le frère aîné de Rachel, Jacob, est phi­lo­sophe, l’une de ses sœurs, Beth­sa­bée, musi­cienne. Quant à Rachel, elle rêve de deve­nir peintre. Alors qu’elle est encore enfant, sa famille s’installe à Pol­tava, plus au sud, où elle prête une oreille atten­tive à l’écrivain huma­niste Vla­di­mir Koro­lenko (1853–1921) qui com­bat l’antisémitisme. La dis­pa­ri­tion de Sophie, sa mère, cause une vive dou­leur dans le cœur de Rachel. A quinze ans, elle écrit des poèmes en russe. En 1907, elle connaît un nou­vel exil avec sa famille, cette fois-ci à Kiev où elle fré­quente pen­dant deux ans l’Académie des Beaux-Arts.

L’année 1909, elle part en voyage en Pales­tine. Fas­ci­née par le pays ances­tral, elle y apprend la langue antique, l’hébreu, et renonce à par­ler en russe comme à reve­nir en Rus­sie. Elle séjourne à Reho­vot avant de rejoindre Kin­né­ret. Deux ren­contres influencent alors le des­tin de Rachel : celle avec Anne Mei­zel qui l’initie au tra­vail agri­cole, celle avec Aha­ron David Gor­don qui devient comme son guide spi­ri­tuel. Après avoir espéré être admise à l’Académie des Beaux-Arts Bet­sa­lel de Jéru­sa­lem, Raca­hel orga­nise avec sa sœur Suzanne des veillées musi­cales aux­quelles par­ti­cipe Bethsabée.

En 1913, Rachel gagne la France, Tou­louse, afin d’y entre­prendre des études uni­ver­si­taires d’agronomie. Elle y tra­vaille durant trois années, avec pour loi­sir les pro­me­nades, ren­contre Michaël Braun­stein qui occu­pera une place impor­tante dans sa vie sen­ti­men­tale et éprouve de la nos­tal­gie pour Tibé­riade. La guerre la contraint de rega­gner, après une étape en Ita­lie, la Rus­sie en 1916 où elle tra­vaille au ser­vice d’enfants de réfu­giés. De pre­miers symp­tômes de mala­die appa­raissent. Si le rêve de deve­nir peintre s’éloigne, Rachel, qui vit à Odessa auprès de sa famille appau­vrie, tra­duit en russe des poèmes de Bia­lik et écrit ses sou­ve­nirs sur la vie à Tibé­riade. La guerre finie, en 1919, elle embarque sur le Rous­lan et rejoint Kin­né­ret. Mais avec la venue de la mala­die, la jeu­nesse s’en est comme allée. Rachel porte sans fin un vête­ment sombre.

Alors qu’on lui avait pro­posé un tra­vail de pro­fes­seur, elle pré­fère tra­vailler avec ardeur la terre au kib­boutz Dega­nia, près du lac. Mais elle s’affaiblit peu à peu et sa tuber­cu­lose met en dan­ger les autres membres du kib­boutz. Elle doit par­tir. Rachel par­lera sou­vent de cette nuit où, avec l’annonce de la néces­sité de son départ, les ténèbres s’étaient abat­tues sur sa vie. Elle lutte, enseigne l’agronomie, l’hébreu. Etran­gère à la vie urbaine, elle est contrainte en 1925 de vivre à Tel-Aviv où elle loue une petite chambre face à la mer, rue Bogra­shov, après avoir séjourné à Jéru­sa­lem et Safed. La voca­tion de peintre s’est éva­nouie comme celle de pay­sanne. Lui reste l’ultime et brû­lante voca­tion de poète.

Rachel vit désor­mais dans la pau­vreté, reçoit des amis, souffre et écrit. Elle doit rejoindre le sana­to­rium Bilou à Gue­déra. « Chaque jour m’est comme une sorte de mort » écrit-elle dans une de ses notes ultimes. Elle veut retrou­ver sa chambre, face à la mer. Mais hos­pi­ta­li­sée à Tel-Aviv, elle s’y éteint au prin­temps 1931. Elle n’avait pas encore qua­rante et un ans. Au cime­tière de Tibé­riade, près du lac, sous le ciel azuré, sym­bole de cette lumière infi­nie que toute sa vie n’avait cessé de recher­cher, elle repose. Ses amis plan­te­ront sur la col­line des pal­miers de Bag­dad qui forment le Jar­din de Rachel.

*

Rachel est l’auteur bien connu de trois recueils de poé­sie, Regain, De loin et Nébo[1], qui ont fait d’elle une pion­nière de la poé­sie hébraïque contem­po­raine. A côté de cette œuvre poé­tique, comme en miroir, Rachel a aussi écrit vingt et un articles, essen­tiel­le­ment lit­té­raires, en hébreu entre 1920 et 1930, hor­mis le pre­mier, Sur les rives de Tibé­riade, écrit en russe en 1919. Cet aspect de l’œuvre de Rachel consti­tue un visage tout à fait méconnu et qu’il est impor­tant de décou­vrir pour mieux com­prendre sa poé­sie.
Publiés au fur et à mesure de leur écri­ture dans dif­fé­rents jour­naux et revues lit­té­raires[2], ces articles ont été réunis pour la pre­mière fois dans l’édition de 1939 des écrits de Rachel où ils occupent une tren­taine de pages, comme ses tra­duc­tions. Nous pro­po­sons, à titre d’exemples signi­fi­ca­tifs, la pré­sen­ta­tion et la tra­duc­tion à par­tir de l’hébreu de deux de ses articles : Vic­times ?  et En sou­ve­nir de Pasia Avram­zon. Ces deux articles ont en com­mun d’évoquer la vie des pion­niers, de s’interroger sur les véri­tables res­sorts de leur action et de nous faire une pein­ture de ce qu’était le vrai cou­rage selon Rachel.

1

De la joie de contem­pler l’aurore

Dans cet article de 1929, Rachel se penche avec ardeur sur un article de Moshé Bei­lin­son, consa­cré à la seconde vague d’immigration et publié dans le jour­nal Davar en décembre 1928 sous le titre de XXVe anni­ver­saire de la Seconde ‘aliyah. Moshé Bei­lin­son est né en 1889 en Rus­sie et mort en 1936 à Tel-Aviv. Fils de phar­ma­cien et petit-fils par sa mère d’un intel­lec­tuel de Vil­nius, il devient méde­cin après des études en Europe occi­den­tale. Il se montre accueillant au mou­ve­ment socia­liste russe. En 1924 il part en Pales­tine, s’installe à Pétah-Tiqvah et tra­vaille comme ouvrier. A par­tir de 1925 il col­la­bore au jour­nal Davar. Cri­tique à l’égard du gou­ver­ne­ment du man­dat bri­tan­nique, il occu­pera des res­pon­sa­bi­li­tés dans le sec­teur social (assurance-maladie) ou poli­tique (membre de la Chambre des dépu­tés), et sera à l’origine de la construc­tion d’un hôpi­tal en Judée. Les écrits de Bei­lin­son, méde­cin, jour­na­liste et homme public, ont été ras­sem­blés après sa mort et publiés aux édi­tions Davar par Bra­cha Habas (En route vers l’indépendance, 1949).

Après la pre­mière vague d’immigration, de 1882 à 1903, la seconde vague, que l’auteur de Regain connaît bien puisqu’elle a gagné la Pales­tine en 1909, s’étendit de 1903 à 1914[3]. Elle cite des extraits de l’article pour les confron­ter à sa propre expé­rience, sa com­pré­hen­sion de cette seconde vague. Les hommes qui y par­ti­ci­pèrent, bien loin d’être des vic­times, ont été des conqué­rants atti­rés, comme irré­sis­ti­ble­ment, par un mou­ve­ment ascen­sion­nel[4]. Par-delà les gouffres, ils marchent vers les cimes afin de voir « l’aurore qui point ».
Etran­gers à la poli­tique, aux pou­voirs éta­blis, ils ont quitté des cités pleines de gri­saille, d’ennui, des pays qui empri­sonnent l’élan de vie. Déta­chés de toute atti­rance pour le confort bour­geois, les pion­niers ont cher­ché et retrouvé leurs vraies racines. Une année d’existence pay­sanne n’est-elle pas pré­fé­rable à toute une exis­tence pas­sée dans un lit douillet ? Là, en Terre Sainte, ils ont décou­vert un pays où il n’y avait pas d’oppression. Contrai­re­ment à ce que pense M. Bei­lin­son, ils ont mené une vie de plé­ni­tude, de vrai bon­heur.
Et Rachel d’évoquer avec fer­veur la cam­pagne, le jar­din, ce « contact qui puri­fie, renou­velle, élève, avec la terre mater­nelle ». Epris de l’antique patrie, au lieu de se com­por­ter en vic­times, ils ont semé et planté, ils ont cru et espéré. Habi­tée d’un rêve de fra­ter­nité, leur exis­tence créa­trice, en s’associant au geste créa­teur de Dieu, a revêtu une dimen­sion sacrée[5]. Rachel sou­ligne, comme dans sa poé­sie, la proxi­mité fran­cis­caine avec la nature, les ani­maux, la terre-mère[6]. Un esprit de cou­rage ani­mait la seconde vague d’immigration. En cela Bei­lin­son et Rachel s’accordent. Mais pour cette der­nière le cou­rage ne se défi­nit pas par « le renon­ce­ment à l’abondance des biens de l’exil » mais par « l’audace d’être heu­reux ». La vie du pion­nier prend sens dans la lumière de la patrie renaissante.

Deux traits carac­té­risent l’article Vic­times ?, écrit dans un hébreu d’une redou­table dif­fi­culté, de Rachel : la cri­tique et le lyrisme. Adop­tant un ton réso­lu­ment cri­tique, ce qui est excep­tion­nel chez elle, elle reproche à M. Bei­lin­son de prendre les décou­vreurs de som­mets inex­plo­rés pour des vic­times. « Ce n’est pas ainsi que je les vois » souligne-t-elle. Quant à ce qu’ils ont quitté, croire que s’y trou­vait une quel­conque gran­deur est illu­sion. C’était une exis­tence misé­rable dans des cités misé­rables. La culture ne com­blait pas la soif humaine.
Rachel cri­tique aussi Bei­lin­son au sujet des racines : erreur de pen­ser qu’elles se trouvent en terre d’exil alors qu’elles ne sont vivantes qu’au sein de la terre du rêve ances­tral. Der­niers reproches de l’auteur de Regain à l’égard de l’auteur de XXVanni­ver­saire de la Seconde ‘aliyah : sa mécon­nais­sance de la beauté de la vie des pion­niers, de la joie sacrée qui l’habitait, et son incom­pré­hen­sion du vrai cou­rage. A une vision néga­tive s’oppose une vision posi­tive. Le lyrisme, constam­ment pré­sent dans l’œuvre poé­tique de Rachel, repré­sente le trait le plus atta­chant de son article. Ce lyrisme jaillit de thèmes qui lui sont chers comme la nature, la terre, les ani­maux, le tra­vail du pay­san, la fra­ter­nité, le sens cos­mique, le sacré. « Non comme des vic­times, mais comme des conqué­rants, des alpi­nistes, comme des gra­vis­seurs de mon­tagnes, qui ont un gouffre béant à leurs pieds et marchent, montent plus haut, res­pi­rant l’air des cimes, et ils contemplent l’aurore qui point, et pour eux fleu­rissent les edel­weiss. »[7] Dans l’admiration de l’existence, de l’œuvre des pion­niers, la prose se rap­proche du poème. Ce souffle lyrique du début de l’article, on le retrouve à la fin dans l’évocation de la vie en com­mu­nion avec la nature, du sab­bat fra­ter­nel, de la fête des jours dans l’émerveillement et l’inépuisable espé­rance. « Et les danses sur l’aire par les nuits de clair de lune, un galop sur un che­val arabe ardent, les pro­me­nades au prin­temps sur les monts de Gali­lée – est-ce cela une vie sans joie ? »

On retrouve dans ces frag­ments lyriques, qui se détachent des réflexions cri­tiques, le souffle de la prose poé­tique du pre­mier article de Rachel, Sur les rives de Tibé­riade. Avec un vrai cou­rage, ceux qui mon­taient vers les hau­teurs aspi­raient à un pur bon­heur, fût-ce au prix de la vie, au sein du pays si long­temps rêvé et renais­sant de ses cendres.

***

Rachel, Victimes ?

A pro­pos de l’article de M. Bei­lin­son : « XXVe anni­ver­saire de la Seconde ‘aliyah. »

Très étranges m’apparaissent les pro­pos de M. B. sur la seconde ‘alyah. Avec des cou­leurs si tra­giques il peint le des­tin héroïque de ces hommes que le cœur se serre de com­pas­sion : de pâles vic­times qui mon­tèrent à l’échafaud au nom de la patrie. Mais moi ce n’est pas ainsi que je les vois. Non comme des vic­times, mais comme des conqué­rants, des alpi­nistes, comme des gra­vis­seurs de mon­tagnes, qui ont un gouffre béant à leurs pieds et marchent, montent plus haut, res­pi­rant l’air des hau­teurs, et ils contemplent l’aurore qui point, et pour eux fleu­rissent les edelweiss.

Mais venons-en aux détails : « Quit­ter de grands pays »… Non pas un grand pays, plu­tôt cette bour­gade, ou ce chef-lieu éloi­gné (en effet 90 % des hommes meurent à l’endroit où ils ont vu le jour), cette ville misé­rable, dont l’air, pous­sié­reux, se teinte de gris, d’ennui sécu­laire, qui n’a rien de com­mun avec « de grands pays qui pos­sèdent une vaste culture », et dont la lit­té­ra­ture mon­diale est toute rem­plie à tra­vers les des­crip­tions des jeunes forces qui sont habi­tées par le doute entre ces murs et se perdent.

 « Quit­ter la tran­quillité bour­geoise » – Ces mots sont tout à fait com­pré­hen­sibles dans la bouche d’un Juif bour­geois, qui voit dans la tran­quillité une des valeurs vitales ; mais pour­quoi donc M.B. adopte-t-il un point de vue qui n’est pas le sien, pour­quoi en vient-il à mettre la valeur de la tran­quillité face à celle de l’idéal sio­niste, alors qu’en réa­lité à ses yeux la tran­quillité bour­geoise est un monstre affreux, et la fuir – c’est sau­ver son âme ?

 « Quit­ter tout cela en étant incom­pris des grands de ce monde. » M.B. n’a pas su com­bien peu les pion­niers de la seconde ‘aliyah se sont pré­oc­cu­pés de l’avis des « grands de ce monde », soit en rai­son de l’heureuse insou­ciance de ceux qui ont dix-huit prin­temps, soit du fait que « la poli­tique » (une conno­ta­tion de mépris était alors asso­ciée à ce mot) repré­sen­tait l’accessoire par rap­port à l’essentiel.

 « Quit­ter le pays où l’on a ses réelles racines pour un loin­tain pays exis­tant seule­ment en rêve »… M.B. ignore-t-il vrai­ment que les racines qui relient les jeunes à la terre rêvée sont réelles si elles ont la force de mettre en route et de faire partir ?

 « Com­men­cer ici une vie entiè­re­ment nou­velle » – Serait-ce là mal, mala­die ?… Comme si un cœur jeune (s’il est vrai­ment jeune) n’était pas assoiffé de nou­veauté, et comme si som­meiller sur l’aire ou dans l’écurie, au son des chaînes des mules, ne valait pas mieux que soixante-dix-sept années dans un lit douillet, pour qui est jeune en vérité ?

 « Dans un pays où la majo­rité des habi­tants sont étran­gers… » Mais à dire vrai aucune néces­sité d’entrer en contact avec ces habi­tants n’existait, et de toute façon il n’y avait pas de répres­sion par rap­port à l’« impos­si­bi­lité d’une quel­conque approche », alors qu’au pays d’origine se trouve réprimé le manque de défense du sen­ti­ment natio­nal morbide.

 « Vivre ici années après années sans joie et sans fête »… Se lever tôt le matin, non pour suivre un ensei­gne­ment, ou s’occuper de comp­ta­bi­lité – ce qui est de tra­di­tion chez un jeune Juif – mais pour aller dans les champs, le jar­din, au contact qui puri­fie, renou­velle, élève, avec la terre mater­nelle, semer et plan­ter, être asso­cié au Saint, Béni soit-il, dans la créa­tion du monde, se repo­ser le jour du sab­bat en com­pa­gnie de gar­çons et de filles épris comme toi de l’antique patrie, croire, rêver et espé­rer – appellera-t-on cela une vie banale[8] ? Et les danses sur l’aire par les nuits de clair de lune, un galop sur un che­val arabe ardent, les pro­me­nades au prin­temps sur les monts de Gali­lée – est-ce cela une vie sans joie ? Et la mer­veilleuse rela­tion renou­ve­lée avec les ani­maux, le sen­ti­ment d’une proxi­mité native avec eux, le sen­ti­ment d’une famille cosmique ?

Je ne com­prends pas la prin­ci­pale hypo­thèse de M.B. Certes un esprit de cou­rage ani­mait la seconde ‘aliyah, mais alors qu’il voit ce cou­rage dans le renon­ce­ment à l’abondance des biens de l’exil et dans l’acceptation volon­taire de la rudesse de la vie dans la patrie en ruine, je vois celui-ci dans l’audace d’être heu­reux, et le fait d’être prêt à payer du prix de sa vie ce bon­heur dans la patrie qui ressuscite.

1929.


Notes :

[1] Deux recueils ont paru de son vivant : Regain (1927), De loin (1930), le troi­sième, Nébo (1932), peu après sa mort. Ils ont été publiés pour la pre­mière fois en fran­çais, près de de quatre-vingt ans après leur paru­tion en hébreu, dans la tra­duc­tion que j’en ai pro­po­sée, chez Arfuyen : en 2006 pour Regain, en 2013 pour De loin, suivi de Nébo.

[2] La plus grande par­tie dans le Sup­plé­ment du jour­nal Davar, le reste dans des revues comme Ha-Shiloah ou Hèdim. A ma connais­sance, ils n’ont jamais été tra­duits dans aucune langue. Avec des poèmes épars, ils sont à paraître aux édi­tions Arfuyen à l’automne 2021.

[3] La troi­sième vague eut lieu de 1919 à 1923.

[4] Le mot « alpi­nistes » qui appa­raît dans l’article de Rachel vient de la racine ‘pl au hiphil (esca­la­der) et doit être rap­pro­ché de ‘aliyah qui vient de la racine ‘lh (mon­ter). Immi­gra­tion et ascen­sion se confondent.

[5] Nourri de has­si­disme, Mar­tin Buber, qui a influencé la vie des habi­tants de kib­bout­zim, aimait remar­quer que le Dieu créa­teur avait confié à sa créa­ture de deve­nir elle-même, dans sa fini­tude, créa­trice, de faire œuvre. (Voir son Moïse, Paris, PUF, 1986, p. 101).

[6] Autre grand guide spi­ri­tuel de la vie en kib­boutz, Aha­ron David Gor­don, ami de Rachel, prô­nait l’attachement à la nature, aux ani­maux, avec en contre­point le tra­vail fra­ter­nel de la terre dans un esprit d’union avec le cos­mos. Pour une étude des liens unis­sant le patriarche du kib­boutz Dega­nia et Rachel, voir notre article « Approches de la vie en kib­boutz. Nature, culture et tra­vail. D’Aharon David Gor­don à Rachel », in Sens, n° 406, mai-juin 2016, pp. 252–271.

[7] On rap­pro­chera ce pas­sage du poème Air des hau­teurs dans Nébo (opcit., p. 152–153). L’expression de l’article (’awir pesa­got) est la même que celle qui donne le titre à ce poème dont plu­sieurs vers se découvrent en conso­nance avec Vic­times ? : « Comme les alpi­nistes qu’une seule corde nous unisse » – « En alliance d’ascension – une vie d’homme – / Nous sommes sanc­ti­fiés – frère, sœur. / O savoir, gais, la tête levée, / Res­pi­rer l’air des hauteurs ! »

[8] Lit­té­ra­le­ment : profane.

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