Maria Galina, Autochtones

Quand l’étranger arrive en ville : poé­sie, humour et tyrannie

Après L’Organisation en 2017, les édi­tions Agullo publient un nou­veau roman de la for­mi­dable auteure russe Maria Galina. Et on ne sau­rait trop remer­cier cette petite mai­son bor­de­laise pour ses choix aussi ori­gi­naux que judi­cieux.
Avec Autoch­tones, Maria Galina aban­donne Odessa et l’époque sovié­tique pour une ville aux confins occi­den­taux de l’ancienne Union sovié­tique, non nom­mée, mais sans doute Lviv, à l’époque contemporaine.

Un per­son­nage, dont on n’apprendra le nom qu’à la toute fin du roman (lec­teur, demande-toi donc pour­quoi…), débarque dans cette ville pour enquê­ter sur un opéra, “La Mort de Pétrone”, qui n’aurait eu qu’une seule repré­sen­ta­tion dans les années 1920, la pre­mière s’étant ache­vée par une orgie géné­ra­li­sée.
De ren­contres en visites, le pro­ta­go­niste est confronté à toute une série d’autochtones dont il ne sait, pas plus que le lec­teur, s’il s’agit d’humains ou de créa­tures fantastico-mythologico-légendaires : le Juif errant, des loups-garous, un sylphe…

Son enquête est ren­due d’autant plus ardue que cha­cun lui donne une ver­sion qui dément ou infirme celle de l’autochtone pré­cé­dent et s’évertue à lui prou­ver sa naï­veté d’étranger au sérail.
Pour­tant l’enquête se mène et abou­tit à un résul­tat que le per­son­nage aura dû méri­ter, de même que le lec­teur : Autoch­tones n’est pas ce que l’on pour­rait appe­ler de la lec­ture facile, mais un texte d’une grande sub­ti­lité, regor­geant de méandres et de res­sorts qui attendent un lec­teur atten­tif et sen­sible pour se dévoi­ler et livrer leur vérité.

Il serait tou­te­fois très réduc­teur d’assimiler ce roman à un jeu d’énigmes. On y retrouve la poé­sie de Maria Galina dans la des­crip­tion des ambiances : la ville des Autoch­tones est sou­mise à une météo­ro­lo­gie hiver­nale et l’auteure sait comme per­sonne dépeindre une bour­rasque de vent sur des arbres dénu­dés ou des chutes de neige sur les pavés d’un centre-ville.
Par ailleurs, la quête du pro­ta­go­niste per­met à Maria Galina de res­sus­ci­ter le passé tra­gique d’une ville d’Europe cen­trale enfoui sous le bric-à-brac du pit­to­resque – irrup­tion de la dic­ta­ture sovié­tique, inva­sion par les troupes nazies… – et de mener, mine de rien, une réflexion poi­gnante sur les effets des tyran­nies (n’oublions pas que l’opéra inter­dit du roman porte sur Néron…).

Vous l’aurez com­pris, Autoch­tones est un livre plus que recom­man­dable, qui emporte le lec­teur dans un tour­billon de poé­sie et d’intelligence, sans oublier l’humour, très fin, et mérite non seule­ment une lec­ture mais sans doute plus : on y découvre sans cesse de nou­veaux indices, de nou­velles pistes qui ne font que ren­for­cer le plai­sir qu’on y prend et notre admi­ra­tion pour le talent de Maria Galina.

agathe de lastyns

Maria Galina, Autoch­tones, tra­duit du russe par Raphaëlle Pache, Agullo, jan­vier 2020, 380 p. – 22,00 €.

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>