Lucie Geffré, L’heure muette (Exposition)

Abymes de clarté

Le por­trait de Lucie Gef­fré, en un seul cadre, joue si l’on peut dire sur deux tableaux : la coexis­tence de la pré­sence et de l’absence.
Et c’est ce qui fas­cine l’artiste qui donne à tous ses visages  — et dans leur valeur d’aura pré­cieuse - ce qu’elle nomme “une trace de l’être et dans le même temps, le signe de sa disparition”.

Cette pré­sence prend paral­lè­le­ment chez elle une valeur d’injonction, appelle par­fois à une com­pas­sion, tou­jours à une soli­da­rité voire à une bien­veillance. Et l’artiste de citer Lévi­nas : « le visage s’impose à moi sans que je puisse ces­ser d’être res­pon­sable de sa misère ».
On com­prend mieux dès lors la por­tée de l’oeuvre. Le por­trait est moins déco­ra­tif qu’enjeu comme si sous ses traits se cachait en fili­grane ce qu’on nomme dans l’art la “vanité“qui ramène à ce que nous deviendrons.

Néan­moins, la beauté est tou­jours recher­chée par Lucie Gef­fré. Celle-là se veut d’appartenance et d’identité, c’est pour­quoi ses traits ne sont pas for­cé­ment régu­liers.
Chaque être reste pos­sédé par ses propres créa­tures d’ombre et de lumière. En consé­quence et lorsque cer­tains lui com­mandent leur por­trait, ce n’est pas à eux de le juger.

Nul ne peut se regar­der, c’est aux autres à le faire ; alors se mirant dans ces regards tiers le ou la por­trai­turé peut ensuite reve­nir à elle ou lui et même deve­nir amou­reux de qui ils sont.
Chaque por­trait de Lucie Gef­fré devient un puits d’où sur­gissent des monstres secrets. Car la pein­ture de fait s’écarte de la pho­to­gra­phie. En elle, un arrêt sur image, c’est mou­rir. En pein­ture se pro­duit à l’inverse une archi­tec­ture qui n’a rien de mortifère.

La poé­sie du vivant est au coeur de chaque toile. Elle devient seul rem­part contre la domi­na­tion du pareil car la pein­ture retient ce qui échappe à la simple prise.
Elle fait par­ler le visage à celles ou ceux qui en n’ont jamais “parlé” comme ça.

D’où par­fois leur stu­peur mais, pour le regar­deur l’impression que de tels por­traits donnent tout.
Il faut être très atten­tif et por­ter atten­tion jusqu’à quelques graines pla­cées au fond de tels “jar­dins” à l’heure où blan­chissent la cam­pagne ou les cheveux.

jean-paul gavard-perret

Lucie Gef­fré, L’heure muette, Gale­rie du Fonds Labé­gorre, 40510 Sei­gnosse, du 3 juillet au 7 août 2020.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>