Carole Mesrobian, Agencement du désert

Le par­fum des livres

Il exis­tait chez Carole Mes­ro­bian bien des rai­sons de culti­ver l’amertume, au nom d’une sorte d’à mère tune au nom de celle qui lui fit payer le plai­sir d’exister (du moins avant de naître…). Est-ce que cette mère a tout fait pour ne pas l’avoir, tout sauf évi­de­ment le néces­saire ?
L’auteure ne le dit pas. Son objec­tif est ici d’affirmer son sta­tut de femme qui berce — à la place de celle qui aurait dû le faire — “l’enfant bâillon­née” qu’elle fut.

Pour autant, l’auteure finit, après les avoir ava­lées, par digé­rer cer­taines paroles plus géni­trices que mater­nantes. Le texte est mor­dant et montre com­ment il est dif­fi­cile à la peau de deve­nir poreuse au désir.
Afin d’y par­ve­nir, “Le par­fum des livres” et leur fré­quen­ta­tion n’y sont pas pour rien. Ils deviennent la clé d’un jouir qui passe par la lec­ture et l’écriture. Les deux déra­cinent la dou­leur et rap­prochent de la volupté.

Carole Mers­ro­bian ne cherche pas l’ataraxie. Elle a mieux à faire. Lec­ture et écri­ture res­tent l’amont du plai­sir et un moyen d’atténuer les troubles de la psy­ché. D’où la part belle que tient ce qu’on nom­mera “l’analyse lit­té­raire” dans ce superbe livre.
L’auteure y rap­pelle le rôle de celles et ceux qui “ont mis une paillette lumi­neuse sur l’aplat cru” de son âme et de son corps.

Certes, Carole Mes­ro­bian ne se veut pas maî­tresse zen mais reste atten­tive aux auteurs qui l’ont construite. Il y a là Pla­ton, Aris­tote, Rous­seau, “Spi­noza l’azuréen”, mais aussi Deleuze et Guat­tari les lucides et bien d’autres “sages”. Sten­dhal par exemple auquel l’auteure fait à juste titre la part belle.
Elle écrit sur lui des pages sur­pre­nantes. Par exemple dans son uti­li­sa­tion de l’épigraphe et son regard “cri­tique” sur son propre per­son­nage de Julien Sorel.

A par­tir de là et sous “le gra­vat des siècles” l’auteure est deve­nue poé­tesse “pour glo­ri­fier ma peur / Et savoir mon cou­rage”. C’est fort, puis­sant. Existe la légi­ti­mité d’une écri­ture jamais repliée sur elle-même. Elle per­met de lever “le magma / de nos chairs / cani­cu­laire” pour embra­ser nos “geôles”.
Sous un fond obs­cur, Carole Mes­ro­bian pro­longe ici sa part d’élan et de sur­sis déjà en marche dans son Onte­ge­nèse des bris.

Au nom de la perte, se pro­duit une impré­gna­tion des mots — celui des autres et les siens — afin de recréer sa mai­son de l’être en ce que Tris­tan Félix dans sa pré­face nomme “un petit pas de danse”. Il se trans­forme en une cho­ré­gra­phie impres­sion­nante.
Preuve que “Le recours au poème” (titre du maga­zine qu’elle anime) nous posi­tionne la tête à l’envers, les mains dans la terre en tra­vaillant la jouissance.

jean-paul gavard-perret

Carole Mes­ro­bian, Agen­ce­ment du désert, Pré­face de Tris­tant Félix, Z4 édi­tion, 2020, 134 p. — 11,00 €.

1 Comment

Filed under Espaces ouverts, Essais / Documents / Biographies, Poésie

One Response to Carole Mesrobian, Agencement du désert

  1. Villeneuve

    Carole Mes­ro­bian trouve son ” être” avec Sten­dhal , sur­tout Sten­dhal … et , post ” petit pas de danse ” , plante son jar­din triom­phant dans l’agencement du désert ori­gi­nel . Tris­tan Félix l’annonce et JPGP l’analyse avec pertinence .

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