Michel Goya, S’adapter pour vaincre : comment les armées évoluent

L’art de la guerre au risque de l’évolution  

Michel Goya est une per­son­na­lité connue du monde de la Défense : offi­cier ayant désor­mais quitté l’active, effer­ves­cent ani­ma­teur du blog « La Voix de l’épée », il a publié notam­ment un inté­res­sant livre ana­ly­sant la manière dont le sol­dat se confronte à ce qui fait une des spé­ci­fi­ci­tés de son enga­ge­ment : Sous le feu, la mort comme hypo­thèse de tra­vail.
Ici, l’auteur reprend et déve­loppe un cours donné à l’Institut d’Études Poli­tiques, dans la droite ligne des tra­vaux de Barry Posen et William­son Mur­ray qui avaient été les pre­miers, dans les années quatre-vingt, à s’intéresser à l’innovation mili­taire. Il décrit com­ment des orga­ni­sa­tions et des puis­sances mili­taires, très dif­fé­rentes mais toutes au cœur de ces tur­bu­lences sur deux siècles, ont fait face à de ter­ribles défis et ont essayé de s’adapter pour vaincre, d’abord en Europe, avant de s’étendre au reste du monde.

À l’origine, il y a les pro­fonds bou­le­ver­se­ments ayant frappé tous les pays, depuis la Révo­lu­tion fran­çaise : il s’agit aussi bien des chan­ge­ments poli­tiques, sociaux, tech­niques qu’économiques, et la rai­son pre­mière est la manière dont les « nations indus­trielles » ont appris à trans­for­mer l’énergie, même si la pro­duc­tion de masse, la démo­gra­phie et les res­sources comptent aussi.
La notion de pro­grès entre éga­le­ment en ligne de compte, et la ligne d’horizon change d’aspect : du regard vers le passé, on est passé à l’attente d’un futur, perçu comme stric­te­ment prometteur.

Les armées sont de fait pla­cées au cœur de ces tur­bu­lences : elles ont, volens nolens, suivi ou accom­pa­gné ces évo­lu­tions. Ainsi, l’auteur pose d’emblée les ques­tions : quand et pour­quoi innovent-elles dans la manière dont elles com­battent ? Sont-elles condam­nées, si elles n’évoluent pas assez vite, à refaire la guerre pré­cé­dente ? Est-il plus facile d’innover en temps de paix ou en temps de guerre ? Com­ment s’articule alors l’action des ins­ti­tu­tions internes et externes aux armées ? À l’intérieur même des orga­ni­sa­tions mili­taires, l’impulsion vient-elle plu­tôt de la base ou du haut com­man­de­ment ?
À tra­vers sept exemples, Michel Goya se pro­pose de répondre à ces interrogations.

Le pre­mier ana­lyse « L’armée prus­sienne face aux révo­lu­tions (1789–1871) » ; l’auteur part des consé­quences de la guerre de Sept Ans, qui consacre la supré­ma­tie de la Prusse et la défaite de la France, et donne à notre pays l’occasion d’évolutions radi­cales : peu de nou­veau­tés tech­niques, mais plus d’innovation : « éta­ti­sa­tion » du recru­te­ment et de fonc­tions jusque-là confiées au sec­teur privé, décou­page de l’armée en divi­sions capables de manœu­vrer de manière bien plus souple, créa­tion des corps d’armée (plu­sieurs divi­sions), déve­lop­pe­ment et orga­ni­sa­tion des États-Majors, amé­lio­ra­tion des méthodes de com­bat, mobi­lité des pièces ; en 1780, l’armée fran­çaise est rede­ve­nue une force redou­table, et la Révo­lu­tion en fera un outil lui per­met­tant de tenir tête à l’Europe coa­li­sée.
Napo­léon sera le troi­sième mul­ti­pli­ca­teur de puis­sance : en face, la Prusse ne pourra que consta­ter cette ®évo­lu­tion. Après une étude très détaillée des arti­cu­la­tions et des pro­grès de l’innovation dans l’armée prus­sienne, Michel Goya tire les conclu­sions de ces pro­grès ;  moins de soixante-cinq ans après le désastre d’Iéna, la Prusse, ini­tia­le­ment la plus petite puis­sance euro­péenne, a réussi à écra­ser deux armées impé­riales en un mois : sa force est d’avoir réussi à mettre en place, la pre­mière, une struc­ture spé­ci­fique pour accom­pa­gner l’évolution du monde, alors que l’armée fran­çaise bas­cu­lait dans une sorte d’obscurantisme, pro­dui­sant le moins de réflexion sur la conduite de la guerre, des opé­ra­tions et des com­bats depuis plus d’un siècle, le maré­chal de Mac-Mahon se van­tant même de rayer de l’avancement tout offi­cier dont le nom appa­raî­trait sur la cou­ver­ture d’un livre. Pour la France, la défaite de 1870 est avant tout « intel­lec­tuelle ». L’affrontement sui­vant contre l’Allemagne sera la revanche de l’intelligence.

Dans « La vic­toire en chan­geant. Com­ment les Poi­lus ont trans­formé l’armée fran­çaise (1914–1918) », Michel Goya part de l’écart entre l’imagerie tra­di­tion­nelle de la Grande guerre, dont la plu­part des opé­ra­tions sont vues comme sté­riles et meur­trières, et son résul­tat : la vic­toire aux côtés des Alliés, à laquelle la France a pris la plus grande part. En étu­diant l’évolution du maté­riel, des tech­niques mais aussi des doc­trines, l’auteur montre que l’armée fran­çaise de 1918 est fina­le­ment vic­to­rieuse, avec l’aide de ses alliés, au prix de « la plus pro­fonde et la plus rapide muta­tion de son his­toire : elle a ainsi jeté les bases d’une nou­velle orga­ni­sa­tion mili­taire dont les grands traits sont encore actuels » (p. 93).
Mais il sou­ligne aussi que dès les années 1920, par immo­bi­lisme et manque de finan­ce­ment, l’armée retombe dans ses erre­ments d’avant-guerre, et voit renaître « le déca­lage entre une doc­trine cohé­rente et une pra­tique déficiente ».

La troi­sième par­tie, « Pour le meilleur et pour l’Empire. La Royal Navy face à son déclin (1880–1945) », s’intéresse à l’évolution du sort de la marine anglaise. Les pos­ses­sions immenses du Royaume-Uni ont fait la richesse indus­trielle, qui à son tour a fait de la Navy « l’arme à longue por­tée la plus puis­sante que le monde ait connu », capable d’interdire l’invasion de la métro­pole, de pro­té­ger dix-mille navires mar­chands et de défendre avec l’appui de l’armée de terre un quart du monde : le « Sea Power », théo­risé par Mahan, est à son comble dans les années 1890 ; mais la fin de la guerre en consacre la chute, que Michel Goya attri­bue à la vul­né­ra­bi­lité et à l’obsolescence d’une grande stra­té­gie, plus appli­cable depuis soixante ans, et cepen­dant mas­quée par les alliances et les trai­tés de désar­me­ment naval.
L’infrastructure indus­trielle et tech­nique bri­tan­nique en rela­tif déclin a per­mis de main­te­nir le volume de la marine et son avance tech­nique à la fin du XIXes. ; la baisse des res­sources se fai­sant sen­tir, c’est l’innovation durant la Grande Guerre qui a sur­tout importé, jusqu’à ce qu’on la sacri­fie pour ne plus rien entre­prendre : « en 1940, il ne reste plus que le cou­rage et l’audace dans l’emploi de moyens presque iden­tiques à ceux des années 1920 pour assu­rer une mis­sion beau­coup plus dif­fi­cile » (p. 146). La Navy de 1945 sera à nou­veau une puis­sante orga­ni­sa­tion mili­taire, cepen­dant dif­fi­cile à entre­te­nir éco­no­mi­que­ment, et dont la mis­sion prin­ci­pale, la défense de l’Empire, sera vite dépassée.

Dans la qua­trième par­tie, « Bom­ber offen­sive. Le Bom­ber Com­mand et la 8e Air Force contre le Reich (1939–45) », l’auteur ana­lyse la stra­té­gie de bom­bar­de­ment à outrance de l’Allemagne par les Alliés : sup­po­sée amoin­drir les pertes humaines telles qu’elles avaient été vécues durant le conflit pré­cé­dent, elle ne se fon­dait en fait que sur une illu­sion, puisque le bom­bar­dier « ne pas­sait pas tou­jours ». Ainsi, la vic­toire par les airs a induit des inves­tis­se­ments colos­saux, des deux côtés.
En 1939, il existe deux écoles du bom­bar­de­ment : « la pre­mière, d’inspiration clau­se­wit­zienne, consi­dère qu’on ne peut se pas­ser de la bataille contre les forces armées adverses pour empor­ter la vic­toire ; la seconde, dite de l’« Air Power » (puis­sance aérienne), consi­dère qu’avec les bom­bar­diers, il est désor­mais pos­sible de s’en affran­chir, pour frap­per direc­te­ment au cœur de la nation enne­mie. […] Toutes les armées conti­nen­tales ont adopté la pre­mière concep­tion et inté­gré les bom­bar­diers, sou­vent légers, dans la manœuvre aéro­ter­restre » (p. 149).
Deux freins existent au bom­bar­de­ment des villes : la réelle effi­ca­cité, et l’aspect huma­ni­taire. La pre­mière offen­sive de bom­bar­de­ment le 14 mai 1940, déci­dée par Chur­chill, est un échec : le raid près de Sedan voit reve­nir moins de la moi­tié des appa­reils ; l’efficacité, la pré­ci­sion sont très dis­cu­tables, le ciblage défec­tueux. La suite de cette cam­pagne ne donne rien de mieux. C’est le Blitz qui fait chan­ger la donne : les Anglais déve­loppent leurs appa­reils, et font subir le même sort que le leur aux Alle­mands. La cam­pagne de bom­bar­de­ment alliée de 1943 aura pour pre­mier effet, elle, de sti­mu­ler la défense alle­mande, qui sera plus tard bri­sée par l’offensive de 1944, où les Amé­ri­cains insis­te­ront sur l’importance de l’armée aérienne. Quant aux V1 et V2, s’il s’agit d’innovations radi­cales, ils res­tent un non-sens éco­no­mique : l’investissement repré­sente la fabri­ca­tion d’environ 24.000 chas­seurs, ou le quart du pro­gramme nucléaire Man­hat­tan, pour un résul­tat assez faible.

Fina­le­ment, pour Michel Goya, dans cette cam­pagne, « rien ne s’est passé comme prévu ». Au niveau stra­té­gique, la cam­pagne de bom­bar­de­ment alliée n’a pas conduit seule à la vic­toire. Au contraire même, cer­tains « mas­sacres » (Dresde, Pforz­heim) ne paraissent que très peu utiles à quelques semaines de la capi­tu­la­tion de l’ennemi, et vont même mar­quer une sorte de « réveil » : Chur­chill prend ses dis­tances vis-à-vis de cette stra­té­gie. Selon l’économiste Gal­braith, l’effort indus­triel et humain de la « Bom­ber Offen­sive » a coûté plus cher aux Alliés qu’aux Alle­mands, « autre­ment dit, une allo­ca­tion dif­fé­rente de res­sources […] aurait peut-être per­mis de l’emporter plus vite ».
Lais­sons M. Goya tirer les conclu­sions qui s’imposent : « Du point de vue opé­ra­tion­nel, le déca­lage ini­tial entre les ambi­tions affi­chées des forces de com­man­de­ment et la réa­lité des faits a été énorme. Contrai­re­ment à ce qu’avançaient les thu­ri­fé­raires de l’Air Power, les bom­bar­diers n’ont pu pas­ser par­tout et de sur­croît, leur pré­ci­sion a été nulle ».

« On ne badine pas avec l’atome. Guerre froide et feu nucléaire (1945–1990) » est le moment de s’interroger sur l’emploi d’une arme nou­velle, en conti­nuité avec la vision du « feu du ciel » qui pré­si­dait aux des­ti­nées de l’aviation. Le cha­pitre s’ouvre sur les condi­tions éco­no­miques dans les­quelles les Alliés peuvent son­ger (ou non) à l’arme nucléaire : l’investissement, impor­tant, n’aurait sans doute pas été fait hors temps de guerre. Après avoir dressé le tableau, connu, de la course au nucléaire pen­dant la guerre, l’auteur s’interroge sur le sort de l’arme nucléaire après la Seconde Guerre mon­diale : d’abord par l’extension qui en est faite (URSS dès 1949), mal­gré le frein de vec­teurs assez puis­sants, puis la mise à l’épreuve du mono­pole (fran­chis­se­ment du 38e paral­lèle par la Corée du Nord en 1950), ainsi que la minia­tu­ri­sa­tion, enfin « l’équilibre instable de la ter­reur », mon­trant la crainte des Sovié­tiques de la supé­rio­rité amé­ri­caine en la matière.
Une der­nière sec­tion s’intéresse plus par­ti­cu­liè­re­ment à « La France et l’atome », où l’auteur ana­lyse la stra­té­gie nucléaire fran­çaise, en léger déca­lage par rap­ports aux trois grands pos­ses­seurs de cette arme. La guerre froide se ter­mine donc d’étrange façon : la guerre ther­mo­nu­cléaire, en dépit des menaces qui ont jalonné son déve­lop­pe­ment, n’a pas eu lieu, et devient même de moins en moins pro­bable au gré du chan­ge­ment de contexte ; ce qui retient l’attention de l’auteur au long de ce cha­pitre, chiffres à l’appui, c’est que jamais autant d’efforts n’auront été consa­crés simul­ta­né­ment à pré­pa­rer une guerre et à essayer de l’éviter. Par ailleurs, si cette tech­nique a empê­ché un affron­te­ment direct, elle n’a pas fait ces­ser les guerres « conven­tion­nelles » : de 1945 à 1990, les armées des cinq grandes puis­sances nucléaires ont perdu plus de 350.000 hommes en opération.

Avec « Le temps des cen­tu­rions. L’évolution de l’armée fran­çaise pen­dant la guerre d’Algérie (1954–1962) », Michel Goya ana­lyse la manière dont la France a déve­loppé, durant ce conflit, « le meilleur sys­tème de lutte contre une gué­rilla moderne », et la manière dont il s’est exporté, alors même qu’il était peu à peu honni en France, géné­rant crise morale interne et dégra­da­tion de l’image de l’armée au sein de la nation. Rapi­de­ment conscient qu’il ne vain­crait pas la métro­pole sur le plan mili­taire, le FLN a fait le choix d’une guerre psy­cho­lo­gique auprès de la popu­la­tion musul­mane et de l’opinion publique fran­çaise. Dans l’intervalle cepen­dant, les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs n’ont pas su pro­po­ser une vision s’opposant à celle du FLN, mais sus­cep­tible de gui­der l’action mili­taire.
D’autre part, l’armée a contri­bué aussi à ce que le parti gagne la confiance de la popu­la­tion. Plu­tôt que d’insister sur le « sys­tème anti-guérilla cohé­rent », l’auteur pré­fère par­ler de « schi­zo­phré­nie tac­tique », hési­tant entre « la lutte contre les bandes armées et la séduc­tion ou le contrôle des popu­la­tions, l’humanisme et la bru­ta­lité, la neu­tra­lité ins­tru­men­tale et l’implication poli­tique ». Long­temps lais­sée à elle-même, l’armée fran­çaise a déployé des efforts immenses, subi des pertes impor­tantes, accu­mulé des sou­ve­nirs hon­teux, pour n’aboutir qu’à une fausse paix et à de nou­velles tragédies.

Au moment où se clôt le conflit algé­rien pour la France, s’ouvre pour les États-Unis d’Amérique, au Viêt Nam, une guerre qu’ils n’ont pas vu venir. « L’US Army et la guerre moderne. Entre guerres ima­gi­nées et guerres menées, l’évolution de l’US Army de 1945 à 2003. » part en effet du conflit des années 1970 pour com­men­cer le cha­pitre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale, l’armée amé­ri­caine a pro­duit de la doc­trine, en quan­tité, pour orga­ni­ser son action future ; cepen­dant, sur la même période, elle a perdu plus de 100.000 sol­dats, dans six conflits majeurs (trois conven­tion­nels, en Corée et deux fois en Irak ; trois non-conventionnels ou mixtes au Viêt Nam, en Irak et en Afgha­nis­tan), qui n’ont que peu, voire pas du tout, cor­res­pondu à cette doc­trine.
Comme l’auteur l’a déjà mon­tré dans un pré­cé­dent cha­pitre, la fin d’un conflit est sou­vent l’occasion pour les États-Unis de désar­mer, de réduire l’effort mili­taire ; avec une réduc­tion de 90% de ses forces, l’US Army doit lut­ter pour sur­vivre après la guerre : elle se sai­sira de l’image idéale de l’ennemi, incar­née par l’Union sovié­tique, pour y par­ve­nir. Après avoir étu­dié l’épisode de la Corée, puis la « bulle ato­mique », avant de s’interroger sur le Viêt Nam, Michel Goya montre que l’US Army res­sort très affai­blie ce der­nier conflit : alors qu’elle effec­tue, à par­tir de 1973, une trans­for­ma­tion vers une pro­fes­sion­na­li­sa­tion com­plète, ses effec­tifs sont divi­sés par deux, son bud­get dimi­nue, le moral et la dis­ci­pline sont au plus bas.
L’Asta­rica Group, sous l’impulsion du Géné­ral Abrams, va réflé­chir à l’avenir de l’armée amé­ri­caine : évi­ter de répé­ter les erreurs qu’on vient de com­mettre, et réorien­ter la stra­té­gie vers l’Europe, où les effec­tifs de l’armée sovié­tique, qui, elle, a beau­coup innové, ont crû de 40% de 1971 à 1984. L’armée amé­ri­caine ne sera désor­mais enga­gée que de manière mas­sive et déci­sive, sur­tout pour les forces ter­restres, sans intru­sion poli­tique, et selon un objec­tif clair et légi­time (doc­trine Wein­ber­ger de 1984, reprise par le Gal Powell en 1990 au moment de la guerre du Golfe) ; pour le reste, on se conten­tera d’aider les alliés, mais sans enga­ge­ment ter­restre (doc­trine Guam) ; de fait, seule la guerre en Europe semble légi­time et envisagée.

Le Géné­ral Starry lance un mou­ve­ment de réflexion sur l’armée : à la fin des années 1970, les ouvrages et articles se mul­ti­plient. Ce renou­veau doc­tri­nal s’accompagne d’une évo­lu­tion du maté­riel : héli­co­ptères AH-64 Apache et de trans­port UH-60 Black­hawk, chars M1 Abrams, véhi­cules de com­bat d’infanterie M2/M3 Brad­ley et mis­sile anti­aé­rien MIM-104 Patriot, tous inté­grés dans une nou­velle struc­ture, et qui consti­tuent aujourd’hui encore l’ossature de l’US Army. Mal­gré ces efforts, les conflits se décentrent par rap­port aux pré­vi­sions, et les opé­ra­tions semblent dis­qua­li­fier l’armée amé­ri­caine : des guerres entre­prises par les États-Unis de 1995 à 2001 se mènent pra­ti­que­ment sans l’US Army (répu­blique bosno-serbe en 1995 ; Ser­bie, 1999) ; comme en 1940, l’armée est mar­gi­na­li­sée, ce que l’intervention en Afgha­nis­tan semble consa­crer : après les atten­tats du 11 sep­tembre, de petites uni­tés mobiles et mixtes feront un excellent tra­vail, sem­blant rin­gar­di­ser les plus lourdes.
Au bilan, depuis la fin de la guerre mon­diale, l’armée amé­ri­caine n’a jamais mené de conflits à la manière dont elle avait pu les anti­ci­per (sauf pour l’Irak en 2003), pour deux rai­sons pri­mor­diales : elle a dû s’adapter d’une part aux fluc­tua­tions de la poli­tique amé­ri­caine, d’autre part, aux réponses stra­té­giques et tac­tiques de ses adver­saires poten­tiels. Les FM 100–5 (élé­ments de doc­trine) de 1968 et 1976 ont été de simples recueils de pro­cé­dés tac­tiques, sans vision sur la manière de gagner la guerre. De manière géné­rale, même après cer­taines amé­lio­ra­tions dues notam­ment au TRADOC de la fin des années 1970, la concep­tion amé­ri­caine de la guerre pri­vi­lé­gie net­te­ment la des­truc­tion totale de la force armée enne­mie par rap­port à l’action au milieu des popu­la­tions. Cet écart est cepen­dant amoin­dri par une capa­cité d’évolution, d’adaptation et d’innovation forte, qui reste par­fois insuf­fi­sante pour sur­mon­ter les dégâts des erreurs d’appréciation initiales.

En conclu­sion, Michel Goya dit qu’il est pos­sible de déga­ger quelques prin­cipes : une armée, d’abord orien­tée par les mis­sions qu’elle doit accom­plir face à des enne­mis actuels et poten­tiels, est aussi liée au reste de la nation, qui four­nit ses res­sources. Mis­sions et res­sources sont fixées par l’autorité poli­tique supé­rieure avec laquelle l’armée entre­tient un double rap­port d’expertise et de subor­di­na­tion.
L’adaptation mili­taire défi­nit alors d’abord la ges­tion de la ten­sion entre res­sources et mis­sions des armées dans un cadre poli­tique plus ou moins contraint. Au centre de ces ten­sions se trouve un sys­tème de com­pé­tences liant des équi­pe­ments à des hommes gui­dés par une culture, et qui déve­loppent des méthodes par­ti­cu­lières. Ce sys­tème à quatre com­po­santes, Michel Goya l’appelle « Pra­tique » : « faire évo­luer une armée, c’est faire évo­luer sa Pra­tique » (p. 349).

L’étude se com­plète d’une liste des abré­via­tions uti­li­sées, de notes clas­sées par cha­pitres, d’une biblio­gra­phie sélec­tive et d’un index des noms cités, très utiles pour une lec­ture pré­cise et rapide de l’ouvrage. L’ensemble inté­res­sera au pre­mier chef les mili­taires, qui seront sen­sibles à la diver­sité des armes, armées, périodes et aires géo­gra­phiques uti­li­sées, mais aussi tous les déci­deurs, qui trou­ve­ront là réflexion sur tac­tique et stra­té­gie à adop­ter pour la meilleure effi­cience.
C’est ici à pro­pre­ment par­ler un ouvrage de réflexion.

yann-loic andre

Michel Goya, S’adapter pour vaincre : com­ment les armées évo­luent, Per­rin, 2019 — 24,00 €.

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