Noël Herpe, Souvenirs/Ecran

Les tour­ments de l’érudit

Histo­rien du cinéma, mais aussi cinéaste et dia­riste, Noël Herpe a pro­fité d’une tour­née de confé­rences, effec­tuée en 2017 et 2018, pour prendre des notes sur les lieux visi­tés et sur les gens qui l’ont accueilli. Il en résulte un récit triste et drôle, l’auteur ayant un pen­chant pour la délec­ta­tion morose, comme il l’avoue, et un sens de l’humour acerbe qui réjouira les ama­teurs d’esprit cri­tique.
A pro­pos de cri­tique, voilà com­ment il se pré­sente, par oppo­si­tion avec l’école des Cahiers du cinéma : « Je ne com­prends pas, encore aujourd’hui, ces ana­thèmes qui nous inter­disent d’aimer Renoir et Carné. Il fau­drait soi-disant prendre le parti d’un cinéma en liberté, contre un cinéma de la maî­trise (pour peu que celui-ci soit un pro­duit de chez nous, car lorsque Fried­kin refait Le Salaire de la peur, c’est for­cé­ment mieux, nous disent-ils, que l’original signé Clou­zot). […] Mon modèle à moi est Bazin, l’anti-dogmatique absolu. » (pp. 209–210).

N’étant pas dog­ma­tique, Noël Herpe aime notam­ment, outre Clou­zot, Eric Roh­mer et René Clé­ment, et n’hésite pas à fer­railler pour défendre ses cinéastes de pré­di­lec­tion, par­ve­nant même à faire admettre à Jean Dou­chet que Plein soleil, « c’est pas si mal », un exploit des­tiné à faire rire les ciné­philes qui n’ignorent pas qu’à part Dou­chet tout le monde voit un chef-d’œuvre dans ce film.

La plu­part des villes où l’auteur a séjourné pour don­ner des confé­rences lui offrent l’occasion d’observations tra­gi­co­miques sur la pro­pen­sion des gens qui tiennent des ciné­mas d’art et d’essai à se lamen­ter sur le manque de spec­ta­teurs, tout en cher­chant à se mettre en valeur devant le Pari­sien, ou sur la ten­dance du public à embê­ter le confé­ren­cier. Herpe nous raconte aussi une série de mésa­ven­tures liées aux trans­ports (la SNCF en prend pour son grade), aux hôtels et aux res­tau­rants où il s’avère sou­vent dif­fi­cile d’obtenir une tasse de thé, quand ce n’est pas une flûte de cham­pagne, ou quelque chose de plus appé­tis­sant qu’un sand­wich.
Tout cela est fort diver­tis­sant pour le lec­teur, d’autant que Herpe se met volon­tiers en scène sous l’aspect d’un clown triste, et qu’il a le don pour tirer d’une anec­dote objec­ti­ve­ment banale un mor­ceau de bra­voure. Outre l’érudition, son avan­tage, c’est l’écriture, élé­gante et acide, empreinte par endroits de dou­ceur mélan­co­lique.
Les ciné­philes comme les ama­teurs de lit­té­ra­ture ne regret­te­ront pas d’avoir lu ce volume.

agathe de lastyns

Noël Herpe, Souvenirs/Ecran, Bar­tillat, mai 2019, 240 p. – 20,00 €

Leave a Comment

Filed under cinéma, Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>