Mourir pour se rappeler son avenir
L’auteur, avant de nous entraîner dans ses labyrinthes, nous prévient dans sa préface : “Vous avez tout à fait raison de douter de l’intérêt des pages qui vont suivre, puisque, chemin faisant, c’est le mystère de cette rupture radicale entre Moret et Mauret que je vais tenter d’éclaircir”. Le propos pourrait sembler mince puisque tout est histoire de noms donc de mots. Mais n’est-ce pas là plonger au coeur de la littérature ?
Et le lecteur se laisse prendre à cette quête au titre “imparfait” puisque, d’une certaine façon, Mademoiselle Lévy n’est que l’accessoire et le désir d’une déchirure. Tout cela sans le savoir, à son corps défendant, même si elle indique à sa façon qu’il n’est pas d’amour heureux et le tout en hantant les salles de cinéma lilloises.
Le narrateur du livre plonge dans une recherche identitaire où le double fait le jeu du un en nous racontant “Une saison à l’envers”, livre pivot du transfuge de Moret en Mauret sans en citer la moindre ligne. Le scripteur va rencontrer l’auteur devenu célèbre et en remonter l’histoire et ses incohérences notoires qui filent entre les doigts de la fiction, du réel et de leur narration.
L’ensemble reste néanmoins non sans mystère et c’est peu dire même si le narrateur remonte, en “biographe” attentif à la vie de son héros (comme la sienne propre), une existence là où se mêlent les années d’occupation, la guerre de Corée, les séminaires de Lacan (entre autres).
Tout est construit de manière à prouver que l’illusion d’une “belle” vie sépare parfois de la vie elle-même. Mais c’est ainsi que se coursent les rêves toute une vie durant comme un chien attaché à un chariot par une chaîne trop courte et que le narrateur/auteur tente de rallonger. C’est aussi d’une certaine manière mourir pour se rappeler son avenir.
Il se peut en effet qu’avec la transformation du nom, l’âme se transforme comme une rivière le fait en quittant son lit d’origine. A la dissection du coeur, Pierret préfère judicieusement celle des faits. Ce qui est plus probant là où une vie morte opte pour une autre qui semble plus vivante et appelle à son avenir par effet de transplantation.
Mais cela ne se fait pas sans mal pour le héros comme pour le narrateur. “C’est à n’y rien comprendre me dire vous. J’avoue que je me sens moi-même un peu perdu”. Néanmoins, cela suit son cours au sein même d’imprécisions qui font le piment de la narration, de la vie et du livre. En ce sens, Mademoiselle Lévy entraîne par sa conversation une conversion que l’auteur analyse avec la verve d’une écriture alimentée d’une culture aussi ironique qu’encyclopédique.
Entre autres sous le signe du cinéma et non seulement celui des séances lilloises. Il passe de “Allemagne année zéro” jusqu’à Darry Cowl. C’est dire un tel périple.
jean-paul gavard-perret
Marc Pierret, Mademoiselle Lévy, éditions Tinbad, coll. Tinbad roman, Paris, 2019, 168 p. — 18,00 €. Parution le 26 mars.