Platitudes d’Aube
Les éditions de l’Atelier de l’agneau, sans être seulement éditions de poésie contemporaine ou expérimentale, nous avaient habitués à des choix d’auteurs rigoureux, aux recherches fécondes, ou aux sans issues propices à la réflexion. Et par conséquent, ce n’est pas sans une certaine déception que nous avons lu, sans jamais être accroché ou emporté Dédales d’aube de Sadou Czapka. Entre prose poétique anamnésique et notes de circonstances imprégnées d’un présent immanent, cette écriture qui se dit être construite de phrases qui “coulent et se tordent” au point qu’on “pourrait penser qu’elle veut arracher les cornes d’un monstre sans crâne” (p. 42), s’englue de fait dans une imagerie poétique post-adolescente éculée et rébarbative, n’ayant d’originalité, si l’on peut dire, que la précocité revendiquée de l’auteur : elle aurait commencé à écrire à l’âge de 13 ans… Beau critère que celui de l’âge, comme l’aurait remarqué Bourdieu à la suite de ses analyses dans La distinction.
Ainsi, Dédales d’aubes se détermine comme un journal intime retraçant un retour sur soi, sur sa langue, sur sa première rencontre de l’écriture et du monde qui s’y immisce, de l’amour et des images qui s’y collent. Ce retour, thème récurrent de la poésie ou de la littérature, se dévoile dans la ligne généalogique qui part de ses 14 ans, et se déroule jusqu’au manuscrit que nous tenons face à nous. Ce que Sadou Czapka montre, c’est en quel sens, se conçoit et se compile en soi le monde et la nature à l’aune de ses propres sentiments : “fermer la porte de l’enfance, elle brode d’impatience une solitude béate, ses yeux retrouvent le désir de voir, ils s’exilent” (p.9). L’amour dont elle parle prend alors la forme phénoménale d’un devenir-nature de cet homme qu’elle devine venir vers elle : “homme du vent”, “il est une roche marquée d’éclats d’or aux angles et aux pointes extrêmes”. Tout, chez elle, se mue inexorablement à travers ce type de clichés, de métaphores ou d’images déjà entendues, déjà parcourues, déjà usées, sortes de métaphores dont l’auteur a oublié qu’elles en étaient, qu’elles étaient de classiques ritournelles lyriques, dont on se repaît depuis quelques siècles, quelques cycles.
Sadou Czapka revendique dans son écriture de faire ressurgir les mots oubliés du passé, et en cela que la langue se torde par cette tension, alors que jamais dans ce livre nous ne dépassons l’écriture personnelle d’une petite histoire privée, des émois adolescents qui confondent usage des images et exigence de la langue. Certes, le style est fluide, mais cette fluidité n’est due qu’à un manque de profondeur, à l’impossibilité justement de correspondre avec ce qu’elle aimerait faire vivre : une langue vivante, organique. Alors que des auteurs comme Christophe Manon ou Savitzkaya aux Ateliers de l’agneau, développent avec une réelle réussite cette hybridation entre sentiment et fourmillement organique de la nature donnée comme la surpuissance d’une entropie insaisissable, là, la métrique, ou la maîtrise avorte a priori toute liberté du langage en l’engonçant et l’engrossant de formules convenues et de phrases plates : “dans son attente je reprends mes notes, y a-t-il d’autres attentes que celle de l’être aimé” (p.43). L’être aimé devenant l’âtre honni de toute inventivité, le creuset où s’évident les stéréotypes non pensés d’un amour qui ne nous dit rien… Rien d’autre que l’ennui à tourner les pages.
Ennui de découvrir leur rupture, si peu inventive, si consensuellement décrite comme la fermeture d’une “huître” (p.63) car “les jours sont lourds et qu’au lieu de se propager l’amour se réduit” (p.62). Livre, sans ébullition, sans horizon, livre terne, aussi terne que ce qui y est écrit, poésie morte, à la langue morte, qui ne mesure pas à quel point la poésie, si elle est bien la pâte sensible d’une chair, ne peut simplement imploser dans les images pré-mâchées et la syntaxe pré-harnachée d’un memorundum sur soi. Écrire sur l’amour, là, maintenant, en ce temps et en ce lieu du monde, sur sa déliquescence, demanderait à l’évidence une autre patte, une autre touche, un autre empâtement des mots, l’insistance crue de ce qui singulièrement se joue pour nous tous. Ainsi, en quel sens l’amour se densifie autour d’autres régimes linguistiques que ceux d’un post-romantisme adolescent ? En quel sens, la rupture met en jeu un autre langage que celui de la petite histoire personnelle ?
philippe boisnard
Sadou Czapka, Dédales d’aube, avec sept encres d’Agathe Larpent, éditions Atelier de l’agneau, 10,00 €.
Editions L’Atelier de l’Agneau
Le Vigneronnage,
33220 Saint-Quentin-de-Caplong.
Courriel : at.agneau@wanadoo.fr
Je n’ai pas lu, pas encore, “Dédales d’aube”. Mais vraiment un article aussi systématiquement féroce m’étonne. Avec qui Philippe Boisnard règle-t-il ses comptes ?
A moins que ce ne soit une astuce publicitaire, car cet article me donne envie de lire le livre, pour me faire une opinion personnelle.