Leo the Last : entre le bien et le mal
Tout peut se résumer dans ce roman par la phrase citée en 4ème de couverture « Puisque tu m’as mis dans une tranchée, toi Dieu qui m’emmerdes, c’est là que je dois combattre. » En ce livre le saint (ou le diable) est rattrapé par la queue. Le héros est un prêtre milanais ouvert, généreux, charismatique. Il est intelligent — trop peut-être — et aime à ferrailler avec Satan tant il se sent de taille à rivaliser avec lui en une ville soumise à la pression du désespoir des migrants, à la corruption des bourgeois. Le tout au sein d’une comédie de la misère plus que de la grandeur humaine.
Léo le prêtre se veut présent pour tous. Mais depuis toujours il est taraudé par l’amour des jeunes garçons. Retrouvant celui qu’il avait tant aimé, son arrivée ranime des feux que le héros pensait éteints. Si bien que celui de Dieu s’en trouve sinon amoindri du moins offensé voire pris en otage. La force théologale est soumise à celle de la tentation. Le bien et le mal aussi puissants l’un que l’autre se rencontrent là où l’auteur met son héros en situation de crise. Elle renverse les règles et certaines sagesses monocordes du roman.
L’auteur y scénarise la « contre-figure » dans laquelle il peut projeter ses ombres. Il ne s’agit en rien d’un prosélytisme ou d’une négation du désir. Et l’auteur trouve là un moyen de sortir de l’autofiction pour illustrer comment et combien il a dû lutter pour se battre face à un « enthousiasme secret » pour tout ce qui le détruisait. Par ailleurs, le choix d’un héros autonome par rapport au « je » permet d’élargir le propos de celui qui pour intégrer le monde dut lutter.
Pour le dire ainsi, la fiction est donc devenue le meilleur moyen de mettre en situation plus générale « une perversion que je connais bien ». Et l’auteur d’ajouter : « regardant autour de moi j’ai compris que l’impulsion secrète à détruire n’appartient pas à ma seule infamie (contrôlée) ». Sans impudeur ou exhibitionnisme et en soulignant la honte comme la violence du désir, le livre élargit des horizons mais en ne proposant jamais la moindre apologie pédophile.
L’auteur ouvre le ventre du monstre pour montrer comment fonctionnent certains désirs et comment le monde lui-même programme des conduites perverses à coup de salauds et leurs justifications. L’auteur lui-même en fut victime à travers et entre autres un confesseur qui pour s’emparer de son corps déclara : « celui qui désire les enfants est plus prêt à aimer les femmes ».
La casuistique est à tous les étages mais n’est pas le fait d’un écrivain qui dans la littérature italienne a trouvé sa place en dépit du soufre qu’il génère.
jean-paul gavard-perret
Walter Siti, Au feu de Dieu (Terra d’altri), Traduit de l’italien par Martine Segonds-Bauer, Verdier, 2017, 384 p. — 24,00 €.