Un premier tome fort alléchant
Après une carrière de femme d’affaires, puis de grand reporter, Fanny Deschamps écrit et publie plusieurs livres, notamment, en 1982, son grand succès, La Bougainvillée. Les éditions Albin Michel rééditent le roman (l’auteur est décédée en 2000), dont Le jardin du roi est le premier tome.
L’histoire débute en 1762. l’héroïne, Jeanne Beauchamps, a quinze ans. C’est encore une enfant, mais ses sentiments pour le docteur Philibert Aubriot sont ceux d’une femme. Elle l’aime plus que tout. Orpheline recueillie par la baronne de Bouhey, la bellejeune fille a grandi entre ses deux mentors, écoutant avidement les conseils de sa bienfaitrice et courant la campagne derrière le botaniste.
La passion qu’il lui a insufflée pour les plantes n’a dégale que l’admiration qu’elle lui voue. Pour lui, elle renonce à beaucoup, jusqu’à son rêve secret de voyages au bout du monde et à la promesse d’une vie passionnée et passionnante. Par deux fois, elle refusera de se laisser enlever par l’envoûtant chevalier Vincent, le corsaire de l’Ordre de Malte qui sillonne les mers du globe. Jeanne préfère suivre Philibert à Paris, même s’il ne lui promet, en guise d’aventure, que d’œuvrer comme sa secrétaire.
Elle s’enfonce peu à peu dans une petite vie tranquille et un peu ennuyeuse, où elle croise tout de même quelques grandes figures du siècle des Lumières. Elle rencontrera, au détour d’un bal, d’un jardin ou d’un verre au très fréquenté La Régence, l’amitié et la convoitise, sera confrontée à la vie mondaine, aux turpitudes des puissants et à la paillardise du petit peuple de Paris.
Fanny Deschamps nous fait visiter avec son héroïne le 18ème siècle de la fin du règne du Bien-Aimé Louis XV, une époque où, à quinze ans, les jeunes filles étaient bonnes à marier et à courtiser. À ses dix-huit ans, Jeanne se croit déjà trop vieille pour l’amour. On se plonge avec délices dans la vie de la bourgeoisie de campagne, dans celle de la grande ville, entre les très riches et les miséreux, qui se côtoient de loin dans une capitale encore ceinte dans ses murs. C’est un temps où le plaisir est roi, où les convenances affichées sont quelque peu mises à mal derrière les masques.
Entre le Jardin du Roi (l’actuel Jardin des Plantes), la rue du Temple, le Pont-Neuf et Belleville, les guinguettes et les marchandes des quatre-saisons, la visite est pittoresque à souhait. L’héroïne est belle, peut-être trop, et sa beauté attire les convoitises — en particulier celles des vieux beaux comme le duc de Richelieu (petit-fils du célèbre cardinal).
Elle découvre avec la fraîcheur et la naïveté de son âge l’effet qu’elle produit sur les hommes, tente d’en jouer mais doit aussi en subir les conséquences. C’est cette dualité d’un personnage en apparence léger qui nous la rend aimable. La jeune secrétaire devient bientôt la “Belle Tisanière”, habile commerçante et propriétaire d’une herboristerie où se bouscule le gratin parisien.
Outre l’intérêt historique que présente ce roman inspiré de faits réels, les dialogues piquants et la romance ajoutent juste ce qu’il faut de palpitant et de sensuel à cette fresque de plus de sept cent pages qui se lit d’une traite.
Pour les amateurs du genre, Fanny Deschamps se démarque de ses éminents collègues (comme Juliette Benzoni, récemment chroniquée ici) par sa plume incisive et sa prose intelligente, sa façon inimitable de peindre une époque sans les lourdeurs qui parfois épinglent d’autres romans. Le naturel d’une scène, la saveur d’un dialogue en disent bien plus qu’un discours didactique.
La réédition du tome 2 (Quatre épices) est annoncée pour 2011. Jeanne s’y embarquera pour l’Isle de France avec son Aubriot mais à la poursuite de Vincent et de la grande aventure.
agathe de lastyns
Fanny Deschamps, La Bougainvillée, tome 1 — Le jardin du roi, Albin Michel, juin 2010, 764 p. — 24,00 € |
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