Colin Winnette, Là où naissent les ombres

Un wes­tern barbare !

Là où naissent les ombres fait l’objet d’une écri­ture sin­gu­lière dans un décor et avec des acteurs qui ne le sont pas moins. L’auteur retient un Ouest amé­ri­cain des pre­miers temps de la colo­ni­sa­tion quand les pion­niers devaient faire face à tous les dan­gers, quand la “civi­li­sa­tion” com­men­çait à s’installer tout en lais­sant de larges zones désertées.

Brooke et Sugar reviennent vers une zone habi­tée, à pied, à tra­vers la forêt. Ils ont perdu leurs che­vaux mais rêvent à ce qui les attend quand Jenny les aura payés pour le contrat qu’elle leur a com­mandé. Or le bar a dis­paru, comme l’explique un petit homme, incen­dié par lui avec ses occu­pants. Plus de prime et une menace pour le pyro­mane qui craint leur ven­geance. Ils négo­cient, tou­te­fois, de pou­voir prendre un bain après que Brooke ait amo­ché la grosse brute qui devait les neu­tra­li­ser. Mais, pen­dant le bain et l’étonnement d’hommes en voyant Sugar, la brute revient et les deux frères s’enfuient à pied dans les bois.
C’est au réveil que Brooke trouve un jeune gar­çon entre eux. Celui-ci leur demande qui ils sont mais est inca­pable de don­ner son nom ni d’évoquer le moindre sou­ve­nir. Les deux frères, contraints de le gar­der avec eux, l’appellent Bird. Des hommes les attaquent sans qu’ils sachent s’il s’agit de pour­sui­vants ou de rôdeurs. Leur cam­pe­ment est pillé. Pris de fureur, Sugar poi­gnarde Bird juste avant qu’un trou­peau de che­vaux sau­vages déferle et finisse de détruire ce qui reste de leurs pauvres pos­ses­sions.
Bird se réveille mal en point alors qu’il est traîné sur le sol par une ombre, une ombre qui l’ayant caché dans une grotte com­mence à le décou­per en mor­ceaux.
Les deux frères sont cap­tu­rés. Brooke est emmené et Sugar empri­son­née car elle est enceinte et sur le point d’accoucher…

L’auteur met en scène des indi­vi­dus qui ne savent s’exprimer que par la vio­lence, la bru­ta­lité, l’acte exces­sif. Il met en avant leur igno­rance, les besoins mini­ma­listes, la nour­ri­ture qu’il faut trou­ver dans ce pays où la nature règne encore en maî­tresse avec des ani­maux sau­vages, des forêts immenses. Dans ce récit, il montre cepen­dant que le plus féroce des ani­maux reste encore l’homme.
Tou­te­fois, tout n’est pas noir dans ce récit. Il anime, éga­le­ment, des indi­vi­dus atten­tifs aux autres pour autre chose que les dépouiller, s’approprier leurs pauvres richesses. Des vil­lages se construisent, des gros bourgs obligent à un début d’organisation avec, tou­te­fois, encore la loi du plus fort, le règne de petits tyran­neaux de ban­lieue.
Win­nette dévoile peu à peu le par­cours de ses deux anti­hé­ros, deux tueurs pro­fes­sion­nels, deux indi­vi­dus per­dus dans un monde de réac­tions pri­maires où ce sont d’abord les besoins fon­da­men­taux, tel que le défi­nit Mas­low dans sa pyra­mide, qui sont à satis­faire. Et, quand on a faim, toutes les viandes sont bonnes, même la chair humaine.

L’auteur sert des dia­logues hal­lu­ci­nants et un tra­vail sur la conci­sion des échanges, des phrases échan­gées entre les pro­ta­go­nistes. Les per­son­nages ne sont pas des tri­buns, ni des phi­lo­sophes. Ils vont à l’essentiel, aux échanges pro­duc­tifs et mini­ma­listes. Le roman­cier offre un mélange de quasi can­deur, d’ignorance, de réflexions et d’actions au pre­mier degré. C’est la sur­vie, la lutte dic­tée par l’instinct de sur­vie, sans regrets, sans remords, accep­tant les coups durs comme les bons moments avec la même fata­lité.
Est-ce une étour­de­rie d’écriture, une tra­duc­tion rapide qui amène à cette inco­hé­rence ? Page 86 : “Le bras de Bird avait été coupé, juste au-dessus de ce qui aurait été le coude.” et page 88 : “Il se pen­cha, posa les pieds sur le sol et poussa sur ses poi­gnets…”.

Pour son pre­mier roman, Colin Win­nette pro­pose un texte aty­pique d’une grande attrac­ti­vité pour l’illustration d’un monde bien éloi­gné des cli­chés léni­fiants qu’Hollywood pro­pose sur la conquête de l’Ouest.

serge per­raud

Colin Win­nette, Là où naissent les ombres (Haints Stay), tra­duit de l’anglais – États-Unis – par Sarah Gur­cel, J’ai Lu, coll. “Thril­ler” n° 11625, février 2017, 288 p. – 7,60 €.

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Filed under Poches, Pôle noir / Thriller

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