Là où naissent les ombres fait l’objet d’une écriture singulière dans un décor et avec des acteurs qui ne le sont pas moins. L’auteur retient un Ouest américain des premiers temps de la colonisation quand les pionniers devaient faire face à tous les dangers, quand la “civilisation” commençait à s’installer tout en laissant de larges zones désertées.
Brooke et Sugar reviennent vers une zone habitée, à pied, à travers la forêt. Ils ont perdu leurs chevaux mais rêvent à ce qui les attend quand Jenny les aura payés pour le contrat qu’elle leur a commandé. Or le bar a disparu, comme l’explique un petit homme, incendié par lui avec ses occupants. Plus de prime et une menace pour le pyromane qui craint leur vengeance. Ils négocient, toutefois, de pouvoir prendre un bain après que Brooke ait amoché la grosse brute qui devait les neutraliser. Mais, pendant le bain et l’étonnement d’hommes en voyant Sugar, la brute revient et les deux frères s’enfuient à pied dans les bois.
C’est au réveil que Brooke trouve un jeune garçon entre eux. Celui-ci leur demande qui ils sont mais est incapable de donner son nom ni d’évoquer le moindre souvenir. Les deux frères, contraints de le garder avec eux, l’appellent Bird. Des hommes les attaquent sans qu’ils sachent s’il s’agit de poursuivants ou de rôdeurs. Leur campement est pillé. Pris de fureur, Sugar poignarde Bird juste avant qu’un troupeau de chevaux sauvages déferle et finisse de détruire ce qui reste de leurs pauvres possessions.
Bird se réveille mal en point alors qu’il est traîné sur le sol par une ombre, une ombre qui l’ayant caché dans une grotte commence à le découper en morceaux.
Les deux frères sont capturés. Brooke est emmené et Sugar emprisonnée car elle est enceinte et sur le point d’accoucher…
L’auteur met en scène des individus qui ne savent s’exprimer que par la violence, la brutalité, l’acte excessif. Il met en avant leur ignorance, les besoins minimalistes, la nourriture qu’il faut trouver dans ce pays où la nature règne encore en maîtresse avec des animaux sauvages, des forêts immenses. Dans ce récit, il montre cependant que le plus féroce des animaux reste encore l’homme.
Toutefois, tout n’est pas noir dans ce récit. Il anime, également, des individus attentifs aux autres pour autre chose que les dépouiller, s’approprier leurs pauvres richesses. Des villages se construisent, des gros bourgs obligent à un début d’organisation avec, toutefois, encore la loi du plus fort, le règne de petits tyranneaux de banlieue.
Winnette dévoile peu à peu le parcours de ses deux antihéros, deux tueurs professionnels, deux individus perdus dans un monde de réactions primaires où ce sont d’abord les besoins fondamentaux, tel que le définit Maslow dans sa pyramide, qui sont à satisfaire. Et, quand on a faim, toutes les viandes sont bonnes, même la chair humaine.
L’auteur sert des dialogues hallucinants et un travail sur la concision des échanges, des phrases échangées entre les protagonistes. Les personnages ne sont pas des tribuns, ni des philosophes. Ils vont à l’essentiel, aux échanges productifs et minimalistes. Le romancier offre un mélange de quasi candeur, d’ignorance, de réflexions et d’actions au premier degré. C’est la survie, la lutte dictée par l’instinct de survie, sans regrets, sans remords, acceptant les coups durs comme les bons moments avec la même fatalité.
Est-ce une étourderie d’écriture, une traduction rapide qui amène à cette incohérence ? Page 86 : “Le bras de Bird avait été coupé, juste au-dessus de ce qui aurait été le coude.” et page 88 : “Il se pencha, posa les pieds sur le sol et poussa sur ses poignets…”.
Pour son premier roman, Colin Winnette propose un texte atypique d’une grande attractivité pour l’illustration d’un monde bien éloigné des clichés lénifiants qu’Hollywood propose sur la conquête de l’Ouest.
serge perraud
Colin Winnette, Là où naissent les ombres (Haints Stay), traduit de l’anglais – États-Unis – par Sarah Gurcel, J’ai Lu, coll. “Thriller” n° 11625, février 2017, 288 p. – 7,60 €.