L’enfant aux cerises est un recueil des articles majeurs de Jean-Louis Baudry sur l’art. L’auteur y interroge ses pouvoirs et ses fins à travers divers créateurs et genres : Penone, la vanité, la peinture religieuse italienne, Vuillard, l’intériorité de la peinture, Monet, le dessin, la série, etc.. Différentes strates de l’activité plastique sont donc examinées avec comme point d’appui l’intimité d’un critique qui explore les significations sociales et religieuses, magiques et économiques, morales et sentimentales d’œuvres ou des concepts qui les définissent.
Dégagé de ses anciennes visées idéologiques où il s’est parfois égaré et tout ne renonçant pas à une lutte idéologique contre une société qui mutile et survit à proportion de ce qu’elle exclut, Baudry remet au centre la question du sujet. Elle n’est plus la bordure de l’art mais son extension. La pratique comme la « consommation » d’une telle production et projection se joue en effet dans le sujet : sujet sans doute altéré, sujet scindé mais qui impose de ce fait une autre extension : celle de la réflexion sur l’art.
Le sujet Baudry se révèle à travers les œuvres qui l’altèrent et qui elles-mêmes ne révèlent que par cette altérité. Le livre devient donc le déplacement obligé de ce qu’on nomme la critique d’art. L’auteur perfore l’enveloppe du sujet cartésien. L’initiation, le sacrifice comme la fête de l’art représentent autant de moments de perte et de communication entre l’homme et sa psyché, l’homme et l’altérité.
Chaque texte devient un moyen d’analyser comment le désir à l’œuvre dans toute œuvre garde partie prenante avec une infrastructure (technique, genre, matière). Si bien que l’excès mortel du désir est compensé par l’excès mortel de ce qui reste dans la nature même de l’art une production d’un bien de consommation.
De la sorte, la place même du sujet-Baudry comme celui de son lecteur définissent des fonctions « stratifiées » à l’œuvre d’art. Elles engendrent « du » sujet que l’interdit lui-même fonde. D’où le travail et l’analyse de transgression de Baudry par rapport au franchissement à l’œuvre dans les œuvres. En art, le réel est remplacé par les signes (ou parfois par des choses décontextualisées) afin d’atteindre ce qu’il existe de plus profond dans l’homme ou ce qui se cache derrière et que Baudry eut longtemps du mal à reconnaître. A savoir, en lieu et place de l’idée : le néant ou l’animalité.
Ce hors limite de l’intime n’est-il pas aussi important que celui de l’économie productrice d’art ? Et différentes techniques instruisent désormais au sein de l’art de telles approches. Et ce, même dans le plus primitif d’entre eux. Baudry le prouve d’ailleurs à travers les superpositions de Titus Carmel. Si bien qu’au mal rampant de l’idée et de l’idéologie en art comme dans la société, il faut un autre récit (celui que demandait Jean-Pierre Faye dès le siècle dernier), un récit dégagé du manque à être transcendantal du sujet.
Il aurait été judicieux à Baudry de finir son corpus de recollection par un texte terminal conséquent. Le critique aurait pu montrer comment l’intimité du sujet succombe mais est aussi mise à nu par les « erreurs fondamentales » que tout artiste produit par rapport aux régulations du réel. L’espace temps « impossible » de la peinture méritait une coda capable de mettre à nu les processus de l’art comme celui du sujet regardant. Car si l’être humain ne peut en effet s’extraire à divers types d’expositions, celles de l’art par ses interfaces communicantes est majeur. Le regardeur y découvre en tant que sujet des pratiques qui le remettent en question.
jean-paul gavard-perret
Jean-Louis Baudry, L’enfant aux cerises, Préface et photographies d’Alain Fleischer, L’Atelier contemporain, Strasbourg, 2016, 174 p. - 20,00 €.