Quand le corporel est inconnaissable
Avec la nature — façon Spricigo — commence un pays qui est sans contour, limite ou description. Il n’admet ni parenté, ni cause, et reste simplement tendu sur la relation inventée par l’artiste. Plutôt que de tirer des plans sur la comète, il les place dans des enclos humides, à l’aune du buisson et de l’arbre. La présence humaine s’y manifeste mais sans être forcément à l’image : il suffit que les jambes des arbres soient ouvertes ou divisées.
La forêt, la feuille et l’animal sont greffés au fond d’un puits dont la profondeur est dans l’air. Elle avance par les branches, respire en des clairières. La forêt est une ville fameuse et s’étend d’arcs et de lances. Des lignes courent, se déploient, des animaux s’échappent, vagabondent même s’ils sont parfois captés par le photographe. Sur le verso d’un tel univers éclatent des soleils dont la brûlure n’arrive pas au recto. Les animaux les relaient dans les grands espaces, la nuit, la montagne, l’isolement.
A travers dessins et photographies mystérieuses Jean-François Spricigo ramène à une fusion inconditionnelle mais déplacée avec le monde naturel et la bête. Il les saisit afin de les célébrer et de se réconcilier avec lui-même et ses semblables sans chercher à transcender le tumulte et le chaos en contemplation métaphysique. Sans indications de lieux ou de dates, les Carnets du ciel deviennent des vagabondages marqués par cinq mots clés : « vertige, respiration, peur, tendresse et nature ». Chaque oeuvre permet, dit l’artiste, « de cohabiter avec nos forces obscures comme promesse de lumière. » Mais en noir et blanc ou en couleurs, la narration joue de contrastes incessants. Ils n’aboutissent pas forcément sur la clarté. L’émerveillement, la paix cohabitent avec la violence et la peur selon un mouvement particulier propre à intensifier l’espace-temps où sont reliés l’animal et l’homme, les grands espaces et les frontières urbaines.
La photographie et le dessin deviennent de la sorte les étoffes des songes. Par décloisonnement du réel dont ils ne recouvrent pas mais pénètrent le corps opaque.
jean-paul gavard-perret
Jean-François Spricigo,
— Carnets du ciel, Galerie Maeght, Paris du 7 au 29 novembre 2014, Paris,
- Toujours l’aurore », Galerie Centquatre, Paris, novembre 2014.