Entretien avec Yana Vagner, l’auteure de Vongozero :
Comment vous présenteriez-vous au lecteur français qui va vous découvrir avec ce beau roman ?
C’est drôle, mais je n’ai jamais pensé devenir écrivain. Avec quatre amis, nous avions créé une jolie petite entreprise qui n’a malheureusement pas survécu à la crise financière de 2008. Quand la faillite s’est produite, je me suis sentie assez triste et pendant un certain temps, je n’ai plus trop su comment m’occuper. Recommencer est toujours difficile. Un jour, mon mari m’a dit : “Eh, tu as toujours la possibilité de faire quelque chose d’autre. Pourquoi ça ne serait l’occasion pour toi de changer complètement ?” Et c’est comme ça que j’ai écrit mon premier roman. Et deux ans plus tard, j’en avais écrit un deuxième.
Aujourd’hui, j’ai 40 ans et je travaille à mon troisième roman. Je vis entourée de mon mari, mon fils et nos trois chiens dans une maison en bois, dans la très grande banlieue de Moscou. Au lieu de rues embouteillées, j’ai chaque matin sous les yeux la forêt immense qui se trouve juste devant la fenêtre de ma cuisine. Je suis vraiment heureuse d’avoir su saisir cette opportunité de changer de vie.
Comment l’idée et l’envie d’écrire Vongozero vous sont-elles venues ?
Je voulais imaginer la fin du monde – pas le spectacle pittoresque qu’on voit en général au cinéma ou dans les livres –, mais quelque chose de réaliste, sans monstres ni superhéros. Le genre d’aventures qui peuvent arriver à des gens ordinaires qui nous ressemblent : des citadins habitués au confort et à la sécurité.
J’ai repris le scénario apocalyptique classique – une pandémie universelle – et j’ai essayé d’y entrer moi-même, telle que je suis, avec ma famille et mes amis, ma maison, et des milliers de petits détails de la vie de tous les jours qui semblent si importants, mais ne signifient rien. Je voulais rendre cette histoire personnelle. Que ferais-je si le monde qui m’entoure s’écroulait tout d’un coup? Que ressentirais-je? Où irais-je? Ça a été un voyage aussi terrifiant que fascinant pour moi.
Comment s’est déroulé votre travail sur ce roman ? A-t-il été long et difficile à écrire ? L’avez-vous écrit d’une traite ou au contraire de façon morcelée ? À le lire, on a l’impression d’un jaillissement continu.
J’ai écrit le chapitre d’ouverture – celui où la ville de Moscou est mise en quarantaine – fin novembre 2009, et je l’ai posté sur mon blog. C’était écrit à la première personne, et j’ai reçu plusieurs commentaires effrayés de la part de lecteurs qui ont cru que l’histoire était réelle. Et de plus en plus de lecteurs ont commencé à me demander de poursuivre l’histoire, si bien que deux semaines plus tard, j’ai posté le chapitre suivant, puis encore un autre, et le roman a été achevé en une année environ. Je n’avais jamais rien écrit d’aussi long auparavant, je n’avais même pas de plan, l’histoire s’est juste révélée d’elle-même avec le temps, partie par partie, chapitre après chapitre. J’étais aussi surprise par l’intrigue que n’importe lequel de mes lecteurs, et pourtant, eh bien, il y avait des gens qui attendaient que je continue. Je ne pouvais tout simplement pas m’arrêter avant que ce soit terminé.
D’après ce que je sais, l’histoire de la publication de Vongozero en Russie a été un peu particulière. Pourriez-vous nous la raconter brièvement ?
Eh bien, Vongozero est un roman qui a d’abord été publié sur un blog, du début à la fin. Les lecteurs suivaient l’histoire, choisissaient leur personnage préféré, discutaient et commentaient leurs actions, et parfois, je dois bien le reconnaître, certains débats ont été très passionnés. D’une certaine manière, publier Vongozero sur Internet a été la même expérience que publier un feuilleton dans un journal au XIX° siècle ou diffuser une série TV.
Je ne sais pas si c’est bien ou mal de montrer un brouillon brut et incomplet à certains de ses lecteurs, mais cela procure des sensations très intenses, quand vous finissez un chapitre à 2 heures du matin, vous le postez et cinq minutes plus tard, vous recevez une réponse sincère, vivante, de quelqu’un qui ne dort pas lui non plus. Et vous pouvez alors parler de quelque chose que vous venez tout juste d’écrire. J’ai tellement aimé cette expérience avec Vongozero que j’ai procédé de la même façon avec la suite de Vongozero, Les gens vivants, et que je continue à le faire avec mon roman en cours.
Comment avez-vous vécu l’immense succès de Vongozero ?
Être un écrivain débutant vous donne le sentiment d’être un nouvel élève dans la classe. Personne ne vous connaît, personne ne vous fait confiance. J’ai été absolument ravie quand les deux plus grosses maisons d’édition en Russie et quelques plus petites aussi ont manifesté le désir de publier Vongozero. Je ne parvenais pas à croire que mon modeste premier roman figurait sur la première liste de deux grands prix littéraires russes – National bestellet et NOS – en 2011. J’ai failli m’évanouir quand un grand studio de cinéma en a acquis les droits pour le cinéma et (oh mon Dieu !) m’a même demandé d’écrire le scénario. Je n’en ai jamais espéré autant.
Mais ce qui me sidère vraiment, voyez-vous, c’est que des tas de gens lisent mon roman en ce moment. Je ne suis pas certaine de pouvoir l’expliquer, mais je devrais essayer. Ce ne sont pas des amis ou de la famille, je ne les connais pas, je n’aurai même jamais l’occasion de les connaître, et ils sont en train de lire les mots que j’ai écrit. Et ils ressentent les émotions que je voulais les voir ressentir ou peut-être d’autres émotions encore, que je n’aurais jamais supposées. J’espère que c’est quelque chose auquel je ne vais jamais m’habituer.
Vos phrases, en français en tout cas, sont longues et fluides. On a l’impression d’être emporté dans le roman comme les personnages dans leur fuite. Était-ce là votre intention ?
Oh, croyez-moi, en russe, mes phrases sont interminables. Mais j’avais vraiment le sentiment que c’était nécessaire pour l’histoire. Raconté à la première personne, ce roman est en fait une sorte d’immense monologue intérieur. J’ai essayé de permettre au lecteur de voir à travers les yeux de la narratrice, d’entendre, de goûter, de sentir à travers elle. Afin d’éprouver sa peur et sa colère, et toutes les petites pensées honteuses qu’on ne devrait jamais prononcer à haute voix. Mon intention était de vous entraîner dans l’histoire, pas de vous en raconter une. Je suis vraiment reconnaissante à ma traductrice française qui a réussi à conserver ce type de narration, ce qui, j’en suis certaine, n’était pas chose facile.
Votre narratrice s’appelle Anna, vous vous appelez Yana. Vos personnages sont-ils inspirés de votre entourage proche ? De façon plus générale, comment les avez-vous construits ?
J’ai lu quelque part que les romanciers débutants écrivaient sur eux-mêmes. Maintenant que j’ai deux romans à mon actif et que je suis en train de travailler sur le troisième, je ne dirais pas que je suis une experte, mais j’en sais assez pour dire que nous ne cessons jamais de procéder ainsi. Nous sommes juste plus prudents et nous arrangeons pour ne pas être pris sur le fait aussi souvent.
Je pense que les principaux personnages de Vongozero ont commencé à être plus “nous” que je n’étais disposée à le permettre, et j’en ai finalement été effrayée. C’est pour cela que dans la suite, je me suis efforcée d’instaurer une distance plus grande. Il est cependant possible que je n’aie pas complètement réussi.
La manière dont vous rendez la sensation d’espace est remarquable. Avez-vous effectué vous-même le trajet que vont suivre les personnages ? L’île et la maison sur le lac existent-elles réellement ?
Oui, le lac existe, et l’île aussi. Et la maison. Je peux le prouver, nous avons fait des photos.
La Carélie est un endroit à vous couper le souffle, immense et sous-peuplé, une terre sauvage à seulement douze heures de route au nord de Saint Pétersbourg. On y voit la taïga, d’innombrables lacs grouillant de poissons, quelques petites villes et une poignée de villages ici et là. Des tas d’endroits où vous pouvez aller passer quelques heures ou quelques jours sans rencontrer qui que ce soit. Où votre téléphone n’a pas de réseau… J’y suis allée une fois et je ne l’oublierai jamais.
L’idée d’une suite est-elle venue après coup ou faisait-elle d’emblée partie du projet initial ? Vongozero peut en effet se lire comme un tout, même si la perspective de savoir comment va se dérouler la vie sur le lac est très alléchante.
J’ai vraiment éprouvé un plaisir immense en écrivant Vongozero et le roman est devenu très gros. J’ai dû m’arrêter à un moment, juste le temps de reprendre mon souffle. Après tout, ce roman est une road story, et il devait se terminer une fois la destination atteinte, mais je savais depuis le début que le plus important pour le petit groupe de personnes que j’avais inventé, ce ne serait pas d’arriver au lac, mais de trouver une manière de vivre ensemble, une fois leur but premier atteint. Par conséquent, j’étais très impatiente d’en arriver là. Pour moi, c’était là que les choses vraiment intéressantes allaient commencer à se produire. Étant donné l’amour et la pitié que j’avais pour mes personnages, je devais rendre cette expérience réelle et difficile pour eux, et ne pas les laisser arriver tous jusqu’à la fin du second roman.
Vous êtes donc en train de travailler à votre troisième roman. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce sera un “whodunnit” vieille école. Oui, le genre où un petit groupe de personnes se retrouve piégé par la neige dans un petit hôtel en haut d’une montagne, et soudain, l’une d’entre elles meurt. Et tout le monde sait que tout le monde est suspect. Dieu que j’aime ce genre d’histoires ! Mais je les ai toutes lues et plus personne n’en écrit en ce moment, donc j’ai décidé de m’y coller. Et j’en retire un immense plaisir.
Propos recueillis par agathe de laystns pour lelitteraire.com le 5 octobre 2014
il est vrai et c’est tout le talent de Yana Vagner ‚que l’on est en “intimité” avec les personnages de ses deux romans et que cette histoire demain peut nous arriver …Nous aurons alors probablement la même manière incertaine d’agir !
Cependant je suis frustré quand a la fin du lac ‚un train approche probablement ‚puisque la bande métallique du rail commence imperceptiblement a vibrer …
ET ALORS QUOI??? que vont ils vivres maintenant ces 5 survivants ???Je suis frustré de ne pas avoir une suite …Je crois que je vais l’écrire pour moi …
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