Premier roman d’un grand poète, c’est encore de la poésie. De la poésie magnifique
Quand un grand poète comme Seyhmus Dagtekin écrit son premier roman c’est encore de la poésie, et c’est un grand poème. Le poème de l’enfance dans un village kurde perdu en pleine montagne. Son enfance à lui. Petit, dans son village qui lui paraît immense, il est encerclé par toutes sortes de peurs. Peur du loup, peur de la nuit en plein jour, peur de la nuit noire sans lune, peur de la bête mystérieuse que personne n’a jamais vue mais qui emporte les gens, peur des monstres, des djinns, ces êtres magiques qui peuvent être malfaisants, peur des dragons qui habitent les sources où on l’envoie chercher l’eau, peur des tortues et des serpents, peur des peurs de sa mère.
Dans cet environnement où faits et gestes de chacun sont rapportés, les seuls qui ont une explication à tout sont les grands. Les grands nous disaient que la terre, l’eau, et même le vent gardent la trace, le souvenir des faits accomplis en leur présence. Les grands savent les invocations, les récitations contre les loups, ils interprètent les signes, ont les clés des mystères. Ainsi les étoiles, les arcs-en-ciel, les saisons, la poussière, les ruisseaux n’ont que peu de secrets pour eux qui ont dépassé les peurs. Ils sont les détenteurs de la sagesse, tandis que Dieu et les anges veillent sur ce village pauvre qui connaît trop souvent les disettes.
L’enfant raconte la vie comme une succession de cérémonials, à accomplir sans faute dans les espaces du connu, du moins connu et de l’inconnu — le plus terrifiant à aborder — où il évolue. Comme une succession d’actes de bravoure, de conquêtes du monde pour le transformer en territoire de jeux et de connaissances, couronnée par l’arrivée d’une école et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Vision magique, voire mystique du monde et de son fonctionnement, de la vie des vivants et de celle des morts, l’enfance de l’auteur croise toutes les enfances. Son texte peut se prendre à n’importe quelle page, donnant l’impression d’un livre circulaire, sans début ni fin, un chant en boucle qui trace les espaces multiples réservés aux rêves, en phrases et paragraphes qui sont autant de voyages.
Seyhmus Dagtekin, né en 1964 à Haroun, village kurde au sud-est de la Turquie, vit à Paris depuis 1987. Il utilise le français de façon magnifique, déjà remarquée dans son recueil de poèmes Les Chemins du nocturne, prix international de poésie francophone Yvan-Goll. La poésie consiste pour moi à embrasser l’être d’un même regard, du plus petit au plus grand, pour instaurer une autre façon d’être ensemble, sortir du rapport de force et de domination pour entrer dans un rapport d’amour où l’autre est la condition même de mon existence. Projet accompli dans son roman.
colette d’orgeval
Seyhmus Dagtekin, A la source, la nuit, Robert Laffont, 232p. — 18,00 €. |
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Merci Seyhmus. C’est le rapport d’amour celle raison aussi beaucoup cherchée par moi. J’encore les aime bien, donc, je n’avais encore trouve pas un motif pour imprimer en mots ce qu’ils ont fait du mal. Je me débâte avec moi-même, chaque fois que j’ai une idée de comment commencer cette histoire. I think I have an idea now, thanks to you.
I’d like to read some of your poems. Where can I find some?
Salut et un gran merci.
Magda