La réputation des Cahiers de L’Herne s’est faite, et répandue à travers le monde, grâce à la qualité d’ouvrages dont l’un est précisément le brillant Borges, qui était épuisé depuis un demi-siècle, et que Laurence Tâcu a eu l’excellente idée de réimprimer. Relire ce livre aujourd’hui, c’est découvrir que non seulement il n’a guère vieilli – seule une infime proportion des textes paraît datée dans le mauvais sens du terme -, mais il a gagné au passage du temps. De fait, qu’il s’agisse de renseignements factuels sur l’écrivain ou de commentaires de ses œuvres, de témoignages d’amis ou d’articles de gens qui ne l’ont jamais croisé, la pertinence de l’ensemble est telle que le lecteur en vient à douter de l’intérêt de quelque autre étude que ce soit sur Borges.
Par surcroît, la dominante stylistique du volume est du meilleur cru – alors que généralement, le fait même de devoir parler de l’œuvre d’un grand styliste handicape les commentateurs ou les fait verser dans le pastiche involontaire. Enumérer les articles que je préfère impliquerait une liste beaucoup trop longue ; contentons-nous de deux échantillons : le texte sublime de Cristina Campo, “La porte magique“, et l’essai où Abelardo Castillo explique, avec une remarquable honnêteté intellectuelle, pourquoi lui-même et les autres écrivains argentins de sa génération n’aiment pas Borges (tout en l’admirant).
Hélas !, je ne saurais saluer de même le Cahier consacré à Marguerite Duras, dont les défauts m’auraient peut-être moins abasourdie si je ne l’avais pas lu dans la foulée du Borges. C’est à tout point ou presque l’opposé de l’ouvrage exemplaire sur lequel la réputation de L’Herne fut bâtie. Pour ce qui concerne les études de l’œuvre, l’on y trouve majoritairement des textes qui donnent l’impression que les coauteurs ont déjà dit ailleurs ce qu’ils avaient de vraiment intéressant à dire sur Duras, ou qu’ils se reposent désormais sur leurs lauriers. Sur le plan stylistique, la dominante est celle de l’académisme le plus indigeste, d’une pédanterie qui porte à se dire qu’il est difficile de desservir une œuvre littéraire majeure au point où sont capables de le faire les universitaires vingtiémistes français : un étudiant qui ne connaîtrait pas Duras aurait tout sauf envie de la découvrir après avoir avalé (contraint et forcé par un professeur) une telle potion.
En définitive, ce qu’il y a de meilleur dans ce volume, ce ne sont même pas les inédits de Duras (qui auraient presque tous gagné à le rester), ce sont les témoignages des gens de théâtre et de cinéma, parmi lesquels les actrices font preuve du plus haut niveau de finesse (voir la section “Témoignages de comédiens“, pp. 197–208). S’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait le témoignage de Fanny Ardant, proprement brillant. Qui se serait douté par avance que l’année de son centenaire, Marguerite Duras n’aurait, pour l’honorer, point de meilleurs exégètes que ses actrices ?
agathe de lastyns
Collectif, Cahier Jorge Luis Borges, L’Herne, mars 2014 (réimpression du Cahier de 1964), 470 p. – 39 €
Collectif, Cahier Duras, L’Herne, mars 2014, 450 p. – 39 €