Yves Bressande, Climatorride
Yves Bressande a mis finalement les points sur les i d’un tel ensemble : « Si a priori le seuil entre la pierre et l’âme n’est pas évident à saisir, ce qui intéresse le peintre : ce seuil devient l’épiderme d’un corps-image qu’il convient de perforer, de casser ou de mettre en pièce non pour en compter les abattis (autopsie) mais, par les interstices opérés, d’en préserver le vivant. »
Comme le peintre, l’auteure a emboîté poème après poème son travail, épure après épure, afin d’ « accepter la débâcle contre la glaciation de la blancheur tout autant de l’être que de l’image. «
Image après image, poème après poème se touche un cœur et une catastrophe par transparence. L’écriture des poèmes et essais de ce recueil s’étale sur une période assez longue dont l’objectif a évité – si l’on en croit et à juste titre l’auteur – dépressions ou suicides.
Certes, dans ce livre tout n’a rien de rose Vichy. Différents types de chiffres sur l’engeance dite humain inquiète de tous les continents et de ce que l’on parle – entre autres – canicules et naissances. L’avenir n’a rien de radieux. Noël au balcon et Pâques aux tisons sont désormais lettre morte. Et dans le nord de la France, la végétation est devenue un appel d’offres pour oliviers, mimosas, cocotiers et ananas. Sans compter perroquets pour pigeons et bien sûr les zébus qui pourraient bientôt servir de vaches en Normandie. Nous ne pouvons plus à ce propos évoquer une Suisse normande mais une normande Sahel.
L’avenir merveilleux annonce un collapsus imminent. Le ciel lui-même est tombé sur notre tête sans compter des « milliers de pépites satellites parasites tels poux ou punaises. Tout va de bric et de broc même pour les baleines blanches comme pour les candidats artefacts des élections présidentielles.
Bressande n’y va pas de main morte mais surtout fait preuve d’une gouaille aussi drôle que bienveillante en tant qu’anti-virus déceptif. C’est un habile fripon qui s’amuse avec tout le sarcasme nécessaire.
Certes, des pandémies ont été quasiment ratées mais incendies généraux et tsunamis attendent – si l’on peut dire – de nous rassurer. Dès lors, la marée des mots montre celle des plaies du monde. L’auteur en devient le dystopien qu’il convient. Il pimente d’inondations, d’éruptions, de génocides. Bref, l’ »anthropocène » est un film de science affliction et d’horreurs. Quant au jadis Sapiens dit homo, il pourrait bientôt devenir une variété de poulpes fiction.
L’auteur en écrivant donne l’impression d’être encore vivant mais c’est bien juste. En belle harmonie, le chaos debout est de mise. Mais à raconter de telles cosae horribilis reste à tout lecteur lucide une histoire de rigoler tôt, fut-ce en sol mineur. De l’incommensurable, l’auteur nous donne des indices. Chaque catastrophe se succède, chacun donne sa tournée face aux tourmentes. C’est une histoire de se requinquer moins par des données chiffrées que pour la littérature.
Elle devient un côté Tricostéryl là où chaque homme peut nous sauver, même si pisser dans un violon génère de la bonne musique. Mais grâce à Bressande, laissons-nous aller par ses marquetteries et pensées. Certes, il n’y a plus d’allegro chez les affamés. Toutefois, l’auteur devient un nouvel existentialiste. Sa potée sauve qui peut mitonnée cet ensemble.
Avouons-le : malgré la débâcle inhérente, c’est une réussite.
jean-paul gavard-perret
Yves Bressande, Climatorride, éditions Milagro, 2024, 164 p. -16,00€.
