Valéry Molet, À l’aube d’un paradis occasionnel
Perdre la boussole
Pour Molet, qui ne rêve aujourd’hui d’être monstrueux afin d’exercer son intelligence sans être interrompu par des « caustiques » ? Mais l’auteur ajoute : « L’intelligence, inouïe ou pas, ne signifie plus rien pour ceux qui ne possèdent pas de bec-de-lièvre, car l’intelligence se retourne désormais toujours contre ceux qui l’invoquent ou s’en servent. » Et d’ajouter : « j’invite tous les parents à faire de l’infirmité un but pour leurs enfants afin qu’ils puissent demeurer audibles. »
Mais auparavant, dans ce récit-fable, son héros (Hugues), à côté d’Eudoxie, sème la zizanie des rires, ensevelit des bâillements que son laïus provoque par et entre autres des gaz et gargouillis. L’auteur a inscrit une phrase de Blake : « Enlevez à chacun cette outrance oppressante ; rectifiez-les selon votre propre goût – quel sera le résultat ? Votre vulgarité correcte, jolie, plate, utile (…) Enlevez à une rose sa rougeur (…) Rectifiez tout dans la nature comme font les philosophes, et nous retournerons au chaos, et Dieu sera forcé d’être excentrique s’Il crée. ». Dans ce but, Hugues aurait dû prévoir un en-cas, un sandwich et de quoi prévenir une fringale et se retrouve en Russie « bel et bien le plus beau pays du monde » – histoire au moins de s’éclaircir la voix. Il n’avait rien organisé. « C’était en mille neuf cent quatre-vingt-huit. On était très loin de l’archipel du goulag. » et c’est pourquoi le héros avait décidé de fuir la France, « cette banane molle abandonnée sur une lunette arrière de voiture en plein soleil. »
Il a voulu brûler ses vaisseaux et le principe de la recherche de l’erreur (apparue le meilleur des atouts). Mais il a commis l’inévitable et sirupeuse transaction « entre l’outrance alcoolique et le prêchi-prêcha qui la légalise. » Et il a donné sa pleine mesure dans l’exercice très difficile de soutenir l’attention d’un noyau d’avinés avec des thèmes réduits à leur plus simple expression. Il n’a atteint personne. Mais (et euphémisme) ce ne fut pas mieux. Il ratiocinait sur tout ou presque le long des monologues et de ces berges. Il ne put dégager que fort peu des récriminations, des rébellions. Il reprit un nouveau pseudonyme mais rien n’aplanit ses angles. Sa caricature lui parlait. Et comme ses acolytes, il est convaincu de gré ou de force de ses ratages et mais, avec le temps, préfère faire moins attention à ses errements.
L’unique chose, peut-être, que Molet put changer, était de sortir de son embarras mais son cauchemar se poursuivait. Tout cela pour dire qu’il trouva l’infirme immoral parce qu’il est encore capable d’imposer sa voix, à l’aide d’un subterfuge. Il va s’étendre là où lui et ses sbires vont périr à force de moqueries (entre autres). Sa voix ne s’impose pas sinon comme un critère combattant le silence. Il existe comme tous les êtres incapables de se convaincre d’eux-mêmes. C’est une forme d’achèvement dont l’auteur-narrateur nous « ravit » et comme il l’écrit « au point de nous demander qui du bec-de-lièvre ou de Hegel pousse notre infirme à déblatérer. »
Molet clôt ainsi la fin d’un siècle et d’une histoire prouvant que l’homme est une forme supérieure de la vulgarité. Il y a évidemment pas d’autre sainteté. Et c’est presque jouissif. Nous aurions donc péché par idéalisme et même, ce qui est pire, par cet idéalisme positif qu’est la méconnaissance. Et d’ajouter : « Les hommes ne s’imaginent jamais en hommes, c’est trop périlleux ». Tout est dit et énoncé. Hugues sortant de son téléguidage et de son lit, s’habille, se dépêche. Il s’exécute…
jean-paul gavard-perret
Valéry Molet, À l’aube d’un paradis occasionnel, Editions Nouvelle Marge, 2025, 284 p. – 22,00 €.