“Roses poupres du Caire” en noir et blanc de Jeanne Ménétrier – entretien avec l’artiste
Jeanne Ménétrier crée divers liens entre l’imaginaire et le réel. Ses photographies ramènent toujours à la sidération là où apparemment il ne se passe rien. Si bien que, chaque fois, c’est au regardeur d’imaginer encore. La photographe recompose le mouvement avec l’immobile. L’Eros devient l’Astronomie ou plutôt le Cosmos. L’artiste aime jouer en grâce avec les postures du féminin des « roses pourpres du Caire » à la lumière des lumignons d’une fête secrète ou de ceux de la lune. Tout est dévoilé et suggéré avec une discrétion et une harmonie que l’assouplissement des articulations souligne parfois. Entre les modèles et la créatrice se crée un faisceau énergétique quasi magique. Les images intriguent. Elles créent un ravissement ou plutôt un recueillement.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil quand j’ai des rendez-vous, sinon le soleil ou lorsque je suis assez reposée. J’ai la chance de pouvoir faire mon propre emploi du temps. Je suis quelqu’un d’assez hyperactif donc rester toute la journée au lit ce n’est pas pour moi de toute façon.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
En fait, quand je me retourne sur mon enfance je me rends compte que je n’avais pas beaucoup de rêves. A part peut être d’avoir des pouvoirs magiques. En tout cas, pas d’un métier que je rêvais de faire. C’est très adulte d’avoir un métier de rêve. Je pense que la plupart des enfants y réfléchissent juste pour avoir une réponse à donner aux adultes. J’aimais les animaux, surtout les dauphins, et l’eau, alors ma grande sœur m’avait dit d’être océanologue. Je pense que ça m’aurait bien plu aussi. Mais je suis et ai toujours été une artiste avant tout. J’écrivais et je dessinais pas mal quand j’étais gamine. Ça se goupille bien de ce côté-là.
A quoi avez-vous renoncé ?
Rien. Je réfléchis mais je ne vois rien. J’ai, certes, fait des choix mais qui ne me coûtent pas, qui sont naturels pour moi. Le plus important pour moi c’est d’être libre et faire ce que j’aime. Le reste c’est du superflu.
D’où venez-vous ?
Je viens de Mitry Mory, une petite ville en région parisienne. J’y ai passé mes dix huit premières années. j’ai ensuite vécu à Toulouse pendant plus de six ans et c’est ma ville de cœur. J’ai dû la quitter pour revenir sur Paris pour ma carrière mais j’y retourne régulièrement pour voir les copains.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
C’est drôle comme question. Je en suis pas mariée, ni religieuse donc pas de dot pour moi.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Je suis assez gourmande donc les bonbons. Demandez à n’importe qui de mon entourage proche, ils savent que tant qu’il reste un bonbon dans le paquet je ne m’arrête pas ! J’aime beaucoup le thé, les fruits et les légumes aussi. D’autant plus que mon ami est un très bon cuisinier. Sinon lire, écrire, prendre des photos, voir ou discuter avec des gens que j’aime, apprendre de nouvelles choses, rencontrer de nouvelles personnes. Les jeux de société avec mon papa et/ou mes copains. Les petits plaisirs simple de la vie. Je pourrais continuer la liste encore longtemps.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Tout et rien. Je suppose que je dois ressembler à beaucoup d’artistes et être très différente de beaucoup d’autres. Je ne suis pas exceptionnelle. J’ai vécu certaines choses qui font qui je suis, qui font que j’ai des choses à dire, le reste c’est du travail et de l’engagement.
Comment définiriez-vous votre approche du corps par la photographie ?
Je le montre tel qu’il est parce qu’il est beau tel qu’il est et quel qu’il soit.
J’avais limite envie de ne pas répondre à cette question parce qu’on parle beaucoup trop du corps et trop peu de la personne à qui il appartient. Mais je vais y répondre parce que c’est important que j’en parle. Le physique de mes modèles ne compte pas. La nudité ? Elle ne m’importe pas, tout dépend de la personne que je photographie, si cette dernière me parle beaucoup de son corps je le montrerai, sinon je ne le montrerai que très peu. La nudité et montrer le corps est très naturel pour moi. Je ne travaille pas sur le corps, il est là car il est l’enveloppe de la personne que je photographie mais ce n’est qu’une partie parmi tant d’autres. Ce qui m’intéresse, c’est qui est la personne que je prends en photo.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
C’est trop dur. On est tellement entourés d’images alors ne parler que d’une… La première image d’une photographe professionnelle, c’est celle des jumelles aveugles de Jane Evelyn Atwood. Sinon une photo que mon papa avait fait d’un dessin sur un mur. Est-ce la photo ou le dessin qui m’interpella ? Je ne sais pas. Il y a aussi une photo que j’ai fait lors de ma colonie de mes 16 ans. La première fois que j’avais un appareil photo numérique. Je ne me suis pas beaucoup fait d’amis cet été-là, alors je me suis beaucoup baladée seule avec mon appareil photo. J’avais fait une photo entre les joncs en Italie et il y avait le coucher de soleil qui se reflétait sur l’eau en arrière-plan. C’est une des premières photos que j’ai faite et qui m’a fait me questionner sur mon envie d’être photographe.
Et votre première lecture ?
Pareil. Je ne me souviens pas de mes premières lectures. Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours lu. Je me souviens par contre du partage avec mon papa de lectures sur les gnomes, les fées et les elfes… Et Harry Potter quand j’avais 10 ans. Des lectures très magiques !
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute énormément de choses différentes. J’écoute autant du classique avec Debussy par exemple ou Chopin ou encore Olafur Arnalds dans le plus récent, que les classiques des 70s’ comme Pink Floyd, les Beatles, les Rolling Stones… Mes deux groupes/artistes préférés sont Son Lux et FKA Twigs. J’adore également Die Antwoord, London Grammar, Jungle, Adult Jazz, Alt J, The Acid, Alabama Shakes, Glass Animals… Et j’en oublie.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le petit prince” de Saint-Exupéry sans hésiter ! Mais aussi “Hygiène de l’assassin” ou “les Combustibles” d’Amélie Nothomb, “Oscar et la dame rose” d’Eric-Emmanuel Schmitt ou encore “La Confusion des sentiments” de Zweig.
Quel film vous fait pleurer ?
« Jack » de Coppola, avec Robin Williams, « Wall E » d’Andrew Stanton de Pixar et plein d’autres. Je suis une grande sensible.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Cela dépend des jours :
une jeune femme talentueuse
une jeune jolie jeune femme
une jeune femme nulle
une jeune femme forte et intelligente
une jeune femme moche
une jeune femme avec ses doutes et ses forces
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Eric Emmanuel Schmitt. En vrai, je lui ai écrit mais je n’ai jamais trouvé l’adresse à laquelle envoyer ma lettre. Je l’ai croisé dans la rue à Toulouse un jour mais n’ai pas osé aller lui parler.
Je suis plutôt quelqu’un qui ose de manière générale.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucune idée. Je ne suis pas trop attachée aux lieux.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Francesca Woodman : je pense être sa réincarnation, haha !
Saint-Exupéry : il avait gardé son âme d’enfant
Bill Henson : pour son univers
Jane Evelyn Atwood : pour son engagement
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Trop de choix ! Un 35mm f:1.4 pour mon numérique. Un stabilisateur pour filmer. Gagner un gros prix ou avoir une belle exposition. Un appartement sur Paris ou New York. Un tas de pellicules. Que tout le monde accepte les autres avec leurs différences…
D’ailleurs c’est bientôt mon anniversaire soit dit en passant
Que défendez-vous ?
Beaucoup de choses mais surtout une au centre de toutes les autres : la tolérance.
S’accepter tel qu’on est avec nos forces et nos faiblesses et être vraiment nous-mêmes. Accepter les autres avec leurs forces et leurs faiblesses. S’aimer et aimer les autres : ce qui comprend les être humains, les animaux, les plantes et la nature de manière générale.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Lacan est un grand penseur et je ne prétendrais pas réfuter ses réflexions. Cela dit, cette citation va à l’encontre de ma philosophie personnelle. S’il veut dire par : « quelque chose qu’on n’a pas » que l’amour n’est pas palpable alors je le rejoins sur la première partie. Nous avons tous de l’amour en nous. C’est une certitude. La seule chose, c’est que nos actions sont bien plus souvent dictées par nos peurs que par notre amour. J’aimerais tellement que le temps d’une journée tout le monde laisse ses peurs de côté et que l’on agisse uniquement par amour. Je pense que personne ne voudrait revenir à la veille de cette journée. Mais pour ça, il faudrait que tout le monde joue le jeu en même temps. Allez coordonner 7 milliards d’humains…
Pour la seconde partie : je pense que tout le monde veut de l’amour mais là encore les peurs prennent le dessus.
Peut-être qu’en retournant la phrase dans tous les sens, j’en arriverais à la même conclusion que Lacan mais si je laisse parler mon instinct plutôt que ma raison, je pense qu’on a tous de l’amour en nous et qu’on recherche tous l’amour : que ce soit familial, amical ou conjugal.
PS : j’ai l’impression d’être retournée à l’école.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
La réponse est oui mais quelle était la question ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quel est mon âge. On me le demande toujours. Et je suis très contente que vous l’ayez oublié parce que je déteste cette question. Pas parce que je suis une femme et que j’ai peur de le dire (j’adore vieillir) mais parce que les gens ont aussi des a priori sur l’âge…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 7 février 2017.