Roger Giroux, Poème

Roger Giroux, Poème

La Légende dorée de la poésie

Poème  est une œuvre inachevée du poète déjà bien (et trop) oublié Roger Giroux dont un autre poète (Jean Daive) permet de redonner au texte son état de théâtre des mots, du langage et de leur « entonnoir » (à tous les sens du terme). D’abord épars, disjoints dans le blanc de la page, peu à peu les mots font masse comme s’ils jaillissaient d’une cendre blanche, témoin d’un temps d’avant mais dans lequel le poète brûle encore.
En un tel montage, ce n’est plus seulement le logos mais la typographie qui fait image. Ce qui rappelle au passage l’amour du poète pour la peinture. Celle de ceux qui l’ont faite et théorisée (Klee et Kandinsky), ou de celui qui la porta au plus haut : Matisse.

Giroux est ici comme il fut toujours : poète de l’exigence créatrice absolue par la charge qu’elle suggère. Le genre ne se limite plus au « ut picturas poesis » mais le précipite là où s’indécide un ailleurs non seulement du réel mais du sens et de ses lois qu’un tel texte prend en charge sur le front des « paysages » des mots et de leur agencement.
« Je voulais alors décrire un paysage : cela me hantait. Et je hantais ce paysage où se tenait un arbre. L’arbre tendait aveuglément ses bras à posséder le paysage, et j’occupais précisément cette portion d’espace où l’arbre allait émettre sa parole sur le paysage. Ce qui montait du cœur de l’arbre, je ne sais le dire » mais il sait l’écrire.

Ce livre sera suivi par « Journal d’un Poème » (présenté lui aussi par Jean Daive) avec ses couleurs, ses biffures, ses ajouts, ses dessins, ses croquis, ses esquisses. Mais cette première version dégagée du manuscrit original possède quelque chose de plus glacé et ouvre à une chute vertigineuse. Elle entraîne le sujet dans un espace-temps qui, conjointement, dit l’auteur «me tait/me tue » – l’équivoque restera irrésolue ou presque… Elle se réfléchit et se dédouble dans la mort que le poème donne ou qu’un tel auteur lui accorde en s’y engageant.
Héritier des camisards littéraires, le poète ne s’en est jamais vanté mais s’est nourri de leurs sagesses et de leurs libertés. Il crée dans un minimum de mots notre chanson de geste, notre Iliade, notre Odyssée et notre Légende dorée. Il a rêvé un ailleurs, il a éveillé une lutte.

Peu sont ceux qui pensent à la saluer. Daive le fait en patriarche et compagnon de marche de ceux qui honorent l’art et la poésie. Giroux et lui deviennent ainsi deux Quichotte chevauchant des genêts d’Espagne, le sabre à la main. On ne leur fit ou fait pour Daive aucun cadeau sur le plan de la reconnaissance. Ils méritent mieux. Mais leurs œuvres parleront pour eux.

jean-paul gavard-perret

Roger Giroux, Poème, Théâtre Typographique, 2018, 176 p. – 18,00 €.

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