Richard Morgan, Anges déchus

Richard Morgan, Anges déchus

L’auteur de l’excellent Carbone Modifié remet le couvert avec le héros du premier tome. Mais il se renouvelle avec brio

L’auteur de l’excellent Carbone Modifié remet le couvert. Les ingrédients varient peu puisque Takeshi Kovacs est à nouveau le protagoniste principal. Doté d’une nouvelle enveloppe (comprendre : un nouveau corps) aux capacités impressionnantes, il est parti se battre sur Sanction IV contre les troupes de Kemp, un rebelle local. C’est alors qu’il est contacté par un petit groupe ayant découvert un trésor archéologique extraterrestre. Il plaque tout pour les suivre. Seulement, l’appât est énorme et plus d’un corporatiste vendrait son âme au diable pour se l’approprier. Alors, de là à faire chanter une corporation entière ! Mais s’il n’y a qu’une seule option, Takeshi la tente. Et il va devoir en appeler à ses sens d’ex Diplo et à toute la finesse dont il est capable pour se tirer de ce très mauvais pas. Ceci ne serait rien pour lui, habitué à réussir l’impossible, si sa conscience pourtant élastique ne le tiraillait pas : il s’agit ici du futur de l’humanité. Peut-on délibérément le mettre en jeu ? Et l’humanité est-elle prête ? Peut-on solder sa conscience et le sort de la totalité des êtres humains pour vingt millions de dollars NU ?

Richard Morgan a un don. Il réussit, avec ce second roman, à remettre en scène le héros du premier tome dans un univers connu des lecteurs, tout en se renouvelant. Les fans se sentiront un peu trahis par cette virée dans l’espace moins délirante que ne l’était la précédente enquête mais ils apprécieront le tournant pris par les réflexions de l’auteur et le cynisme renforcé de Takeshi. Le monde décrit a gagné en maturité, les décors ont évidemment évolué mais ils semblent plus flous, moins développés au bénéfice de l’action. On suit les pistes cachées, on agite ses neurones, aiguillonnés par des indices laissés ci et là, les dialogues pleins de sous-entendus et les demi-réflexions des protagonistes. Le tout, calculé au millimètre près. Il faut aussi signaler que l’écriture elliptique crée une tension telle que le lecteur en vient à éprouver un état de stress similaire à celui du héros. Claustrophobes, abstenez-vous ! D’autant que le style est toujours incisif, ne laissant aucune place aux temps morts. C’est donc un bloc compact porté par l’apesanteur qui attend le lecteur de cet excellent space op’.

Ce texte aux intrigues complexes comblera les amateurs de polars autant que ceux de science-fiction. On se prend à essayer de démêler le vrai du faux parmi les rumeurs, contre-vérités et démentis distillés avec savoir-faire. Le seul point noir, car malheureusement il y en a un, se trouve dans le dénouement. On se demande encore comment Richard Morgan a pu écrire les trente dernières pages de ce texte et s’en satisfaire. Certes, il n’y a pas de rupture évidente avec le genre, la science-fiction aimant à respecter quelques poncifs, mais cette manière de conclure est décevante. D’autant que la réflexion qui y mène est intéressante, humaine – mais pas novatrice. Quel dommage que l’auteur ait raté son final ! Il réussit, avec brio, l’épreuve du second texte pour échouer dans les dernières mesures, comme un pianiste subitement en mal d’inspiration. On pardonnera cette petite erreur au vu du travail préalable. Les lecteurs n’ayant pas atteint les derniers chapitres éviteront une belle déception en s’arrêtant un peu avant la fin. Les autres attendent malgré tout avec impatience le troisième volet des aventures du mercenaire hors norme, en se demandant bien où l’imagination fertile de Richard Morgan les conduira. Car, soyons-en sûrs, les accros suivront Takeshi au bout de l’univers connu, quitte à traverser plusieurs galaxies pour le rejoindre !

anabel delage

   
 

Richard Morgan, Anges déchus (traduit par Cédric Perdereau), Bragelonne éditions, 2004, 410 p. – 20,00 €.

 
 

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