Portrait d’un déserteur fidèle – entretien avec Jean-Marie Corbusier

Portrait d’un déserteur fidèle – entretien avec Jean-Marie Corbusier

Jean-Marie Corbusier a commencé par déserter le ventre de sa mère. Mais il ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Pour autant, sa désertion est moins une fuite qu’une attention à l’autre surtout lorsqu’il en en besoin mais n’ose même pas le demander. Modeste, l’auteur est de ceux qui font de l’écriture une exigence existentielle à l’écoute du monde et non des prurits égocentrés.
Pas étonnant dès lors que Colline de Giono résonne pour celui qui devient non seulement le mélomane poète mais le musicien du langage.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’appel de l’aube, particulièrement celle d’été. Et puis cette longue journée à pousser devant moi qui commence par un regard porté sur l’état du ciel. Journée à ne pas perdre. C’est encore une en plus, une en moins qu’il faudra libérer de son inutilité.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Tous disparus à l’exception d’un seul : être ailleurs, toujours en fuite, tel un déserteur de la vie qui recherche l’impossible repos dans un abri introuvable.

A quoi avez-vous renoncé ?
A devenir quelqu’un quand j’ai compris que tout le mal dont s’entourait l’homme était provoqué par cette crise d’être, non pas face à soi, mais face aux autres, pour se libérer de ses fantasmes, de ses mensonges,de son hypocrisie…

D’où venez-vous ?
Gustave Courbet détenait la réponse, ce lieu commun dont il avait osé montrer l’esthétique.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le travail intellectuel, la volonté et l’effort pour se porter vers une vie meilleure, capable d’en affronter tous les aléas.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Etre utile à toute vie qui m’entoure, surtout la plus faible.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ? Acceptez-vous d’être « rangé » parmi les irréguliers belges de la langue ?
Chacun se distingue et ressemble par certains aspects à l’autre. C’est la richesse de la diversité. L’écrivain est toujours un être particulier qui définit son monde dans une langue particulière qui s’éloigne du langage commun.

Comment définiriez-vous votre approche de la poésie ?
Vaste question dont toute une vie ne suffit pas pour y répondre. La poésie est une arme mentale, qui assure d’abord un combat contre soi pour venir à l’existence. Le poème est la source de sa signification, il est une thérapie sans gloire. Au fond du poème, il y a quelque chose de noir. La poésie n’est qu’un langage mais qui déborde le monde pour l’exhausser. Il y a au fond de la poésie un dire intime, inaccessible, intransmissible. La poésie est écoute du chant du monde devenu mots. Intemporelle, atemporelle, elle est infiniment ouverte, sans fond, sans certitude d’être, libre, toujours elle-même à s’échapper. Ce n’est pas un jeu, pas un hasard, il n’y a pas de confidences, de rêveries. Elle est connaissance, sérénité, conscience.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Les chemins de campagne, leur fuite, leur forme, leur inaccessible finitude.

Et votre première lecture ?
« Capi, fils de loup » de Joseph E. Chipperfield.

Quelles musiques écoutez-vous ?
A l’instant très présent : Partita BWV 830 de Bach. Tous les compositeurs romantiques, avec une prédilection pour Chopin que je joue tous les jours, particulièrement les Nocturnes.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Colline, de Jean Giono, découverte fabuleuse d’un monde que j’avais eu le temps d’entrevoir.

Quel film vous fait pleurer ?
Le cinéma est fait pour rire ou chanter l’amour. Je ne pleure que dans la réalité de la vie, pas dans l’artifice.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un qui ne répond jamais à ce que je lui demande.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Si je refuse d’écrire à quelqu’un, c’est pour ne pas le déranger.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ma maison de plus de deux cents ans, comme lieu de repos et d’observation du monde. La Bretagne : l’obstination d’un éternel retour : la vague.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Giono, Char, Mallarmé, André du Bouchet….. Tous les peintres impressionnistes et abstraits, plus particulièrement Monet et Hans Hartung, sans oublier les Belges : Permeke, Barthélemy, Rathy et mon épouse.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un compliment : tu n’as pas vieilli.

Que défendez-vous ?
La justice, l’égalité, la liberté, l’aide aux plus faibles et démunis , gens, bêtes ou végétaux. Ce n’est pas l’homme qui est le centre du monde, mais la vie.

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas ˆ quelqu’un qui n’en veut pas »?
J’ai toujours fait l’expérience inverse. Après quelle vie, peut-on arriver à une telle conclusion?

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Cela serait un véritable bonheur que de toujours dire oui sans savoir pourquoi. Mais n’est-il pas plus facile de dire oui que non?

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Comment attendez-vous la mort? Le regard posé loin sur l’horizon accompagné de tous les souvenirs qui m’ont réjoui.

Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard perret pour lelitteraire.com, le 27 octobre 2018.

One thought on “Portrait d’un déserteur fidèle – entretien avec Jean-Marie Corbusier

  1. Bel entretien !!!
    J’aime particulièrement la définition de l’approche sur la poésie …
    Cette arme mentale qui assure d’abord un combat contre soi pour venir à l’existence..
    Le poème est une thérapie sans gloire …
    La poésie est écoute du chant du monde devenu mots …!

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