Portrait de l’écrivain en d’Artagnan, Charly Gaul et Alain Delon : entretien avec Christian Laborde (Le bazar de l’hôtel de vie)
« Fourgueur d’images et de sonorités à l’heure où l’imagination a été déclarée persona non grata », l’auteur ne cesse de vagabonder dans les mots et les monts. La main sur le coeur, s’il se pique parfois au délicieux poison de la nostalgie il sait toutefois arpenter nos pampas régionales. De lieu en lieu, d’une rencontre à une autre, sa langue fait feu de tout bois en se défiant des pietà qui revendiquent le droit de n’être toujours qu’à elle-mêmes.
D’où ses épiphanies clandestines afin que jamais la poésie ne se rétracte. Cela voudrait le coup d’entreprendre l’étape mythique de la Chartreuse où Charly Gaul triompha.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le petit-déjeuner, la chaise qui m’attend dans la cuisine, les cyclamens sur le rebord de la fenêtre.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils continuent de vivre en moi, de me tenir chaud, je les croise quand j’écris, quand la page est belle…
A quoi avez-vous renoncé ?
A rien. Je voulais être d’Artagnan, et je suis devenu écrivain, c’est-à-dire « général de l’armée des rêves ».
D’où venez-vous ?
D’Occitanie.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
L’Occitanie, c’est-à-dire, une langue pourchassée qui vit en moi, dicte le rythme – « l’accent c’est les traces d’une autre langue dans la langue », dit Michel Serres -, l’oralité, le chant des troubadours, la poésie de Joël Bousquet, un héritage qui ne cesse de s’enrichir avec, aujourd’hui, par exemple, la poésie de Bernard Manciet et le jazz de Bernard Lubat…
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
La consultation de la carte Michelin, la 85, pour le choix de l’itinéraire. Où pédalerai-je demain ?
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Je suis un fourgueur d’images et de sonorités à l’heure où l’imagination a été déclarée persona non grata.
Comment définiriez-vous votre approche de la poésie ?
Une approche sensuelle, joyeuse. Je pétris la langue, comme le boulanger, la pâte. La peur de la page blanche, la posture doloriste, c’est pas ma came…
Quelle est la première image qui vous interpela ?
Les vitraux de l’église d’Aureilhan, quand j’étais enfant, des bousculades de couleurs, du bleu, du rouge, du vert, du jaune… J’étais myope, je ne distinguais qu’imparfaitement les motifs, mais les couleurs, comme animées, me plaisaient.
Et votre première lecture ?
Il n’ y avait pas de bibliothèque à la maison, juste mon père qui me racontait les exploits de Charly Gaul dans la Chartreuse, le soir, à table, à la fin du repas. Les mots, c’était donc la parole. Quant au collège et au lycée, ils ne m’ont pas apporté grand-chose. En classe, il est vrai, il était plus souvent question de Zola que de Verlaine… La caverne d’Ali baba des mots et des sons, ce sera – j’avais 14 ans ! – le rayon Poésie de la Bibliothèque Municipale de Tarbes, la lecture de Sources du vent de Pierre Reverdy, ou de Terraqué d’Eugène Guillevic.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Le vent, le jazz, Miles Davis, Chopin, Ennio Morricone, Lalo Schifrin, et ce que Scutenaire entend par « musique concrète », le grincement d’un volet par exemple ou le son d’un marteau, bref, tout ce qui signale et souligne la présence du silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le Rivage des Syrtes » de Julien Gracq.
Quel film vous fait pleurer ?
Je vais peu au cinéma, « Two Lovers », de James Gray.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Alain Delon dans Le Samouraï.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne. Je n’ai pas le mail de Dieu …
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Toulouse, le col de Marie-Blanque.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’ai beaucoup aimé l’aventure surréaliste et son « stupéfiant image ». Je me sens proche des poètes, des aventuriers du langage, Henri Pichette, Claude Nougaro, Jérôme Leroy, Marcel Thiry, Eric Poindron, Joseph Ponthus. J’aime la langue charnue de Jean-Pierre Verheggen et celle, maigre, de Kenneth White. Je préfère relire un poète de naguère –Tristan Derème, par exemple – que lire un romancier d’aujourd’hui.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un fixie.
Que défendez-vous ?
Les routes départementales, le droit des vers-luisants à disposer d’eux-mêmes, la réhabilitation de l’imagination, Leonard Peltier, la neige qu’ils accusent de tous les maux dès que la circulation est paralysée, la lenteur, la nuit, les animaux.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Rien.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Je la fais mienne ! Je préfère Allen à Lacan. Je choisis toujours l’artiste.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelle chanson de Nougaro écoutez-vous en ce moment ? La réponse : « Mater ».
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 avril 2021.