Philippe Jaffeux, Derniers courants

Philippe Jaffeux, Derniers courants

Poursuivant ses courants (de plus en plus alternatifs que continus) sous forme d’une esthétique d’une phrase par ligne et de 26 lignes par carrés, celui qui voulait tenter et à sa manière de mettre le monde en arpent ouvre sa jachère. Mais Jaffeux n’est pas fracassé par ce qu’il nous écrit et nous bouleverse. Serein gars et belle plante, ce qui tourmente est apaisant puisque « notre disparition est la prévision la plus imprévisibles ».

Pour nous conformer dans l’inconfort, le penseur multiplie des courants opposés mais dont la résultante annonce une forme de vide récurrent. Certes, « notre ignorance a le pouvoir de faire ce qu’elle peut avec toutes nos incapacités » selon un tel poète, qui ne s’en prive pas. Il use et abuse, en physicien quantique plus que pascalien, de notre raison douteuse et de nos sens trompeur. Si bien qu’en vertu de notre potentiel pouvant pulser d’un sang bouillant, la mort est remisée comme un nègre en chemise ou la mort en un cosmos. Portatif ou non, il est ample généralement sauf si le vide sidérant prend la forme d’une queue de serpent.

Un tel labile et habile homme plaisantin est plus qu’un prédicateur ; il feint de passer au-dessus de nos têtes. En couvre-chef, elles couvent moins leur fin qu’une faim de connaissance (la fonction créant organe et orgasme). Si bien que nuls atrabilaires ou autres bilieux n’hypostasient sur des prières ou des rages (de rire comme celle des dents mentales). En ce sens, Jaffeux défie notre mutisme et aussi notre insolence. Il offre en généreux général d’en pire les mots où se succèdent des pensées de plus en plus saccadées propres à nos courses d’animaux en fuite.

Nos logos se contredisent, nos maux et nos images idem dans leurs films hic ! Mais rien de plus énergique que ce désordre programmé où se résume en 69 pages une bibliothèque branlante de tous savoirs accumulés. En cette marqueterie, Jaffeux, grammairien à sa guise, nous lance son cri du cœur et d’espérance en nous faisant butter sur nous-mêmes, fiers et vantards fantassins amateurs des seins et des desseins.

Un tel apprentissage nous convient. C’est un cimetière du paradis ornementé de telles pierres tombales qui sont autant de parties fines. Par elles, un tel poète enguirlande les vers et va pour la prose. Elle promet tout et ne s’inquiète de rien sinon du doux chaos où le malheur de vivre est notre seule espérance, tant les deux sont sollicités parfois avec abus. Mais pour un grand écrivain, il ne faut plus rien connaître pour pouvoir tout donner : l’indécision, le multiple, la contradiction. Et, avec dièse ou baie molle, l’irascible et un certain lieu où des courages mentent.

jean-paul gavard-perret

Philippe Jaffeux, Derniers courants, éditions (Milagro), Nice, 2025, 72 p. – 12,00 €.

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