Péter Esterhàzy, La Version selon Marc – Histoire simple virgule cent pages
Le narrateur de cette version « évangélique » est apparemment aphasique. Ses proches le croient sourd et muet. Mais, en tout état de cause, il écoute et écrit. Raconte son histoire et celle de sa famille considérée comme « ennemie du peuple ». En tant que telle, elle est fut chassée de Budapest et bénéficia d’un paysan garde-chiourme. Dans cet exil, l’enfant est l’auditeur attentif des scènes de ménage de ses ascendants et des doutes de sa grand-mère sur les voies de plus en plus impénétrables de Dieu.Dès lors, pourquoi ne pas le remplacer ? Il joue littérairement parlant une version du type « Jésus II ». Il se trouve ainsi en meilleur posture que Dieu lui-même : ce dernier ne peut adresser ses prières à personne sinon à écrire un Evangile selon lui-même. Hélas ! – à l’inverse du narrateur -,Dieu n’écrit pas. Et lui-même à besoin de sbires scribes.
D’où les délices de la narration de cette enfance magyar où l’écrit biblique prend des accents humoristiques, manière de dédramatiser sa propre histoire en sauts d’hommes (et go more). Dans les affres sévères d’hivers socialistes, l’auteur tire bien des affaires au clair sans en donner les clés. Car même un évangile n’est pas fait pour décrocher la lune.
Sous l’orage de l’histoire le muet vole à perte baleine sans pour autant utiliser de parapluie dans son écriture. Dans son no man’s langue, les mots sont cirés comme il faut afin que le réel y glisse. S’envolant, ils dansent un tango argent teint en hongrois, bifide bi-raisin auprès de celles et ceux qui, lubriques, vitupèrent tant ils ont de ressorts au lit.
En ce livre, le cœur du narrateur est pieds nus jusqu’au cou. Il rêve de coucher entre les branches de jambes où pousse la fleur unique. Tel un oiseau, il a faim d’extase tandis que son murmure caresse à rebrousse-poil les garants de la farce qu’ils font jouer aux dindons qui n’osent pas leur voler dans les plumes. Péter Esterhàzy à l’inverse ne s’en prive pas.
jean-paul gavard-perret
Péter Esterhàzy, La Version selon Marc – Histoire simple virgule cent pages, traduction du hongrois : Agnès Jarfas, Gallimard, coll. « Du monde entier »,Paris, 2017.

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