Nelly Froissart, Du sable à la mer

Nelly Froissart, Du sable à la mer

La traque

Ce premier recueil est une découverte. Le débarquement des démunis dont fait partie l’héroïne qui trop tôt avait «  »déjà / imaginé le rebord chaud / l’aspect rouillé des quais fouettés par la mer / et le sillon des parfums flottant sur le chapeau bleu des / capitales » devient une longue suite de désenchantements.

Le « rêve » se transforme en un cauchemar de l’enfermement et de la désillusions : celles et ceux qui ont laissé leurs « feux » et leurs mères derrières eux ont trouvé sur les côtes qu’ils pensaient hospitalières combien de pierres.
Dès lors, à la fleur des mots s’écrit le chant du « sillon des êtres effondrés dans les sables » mais qui s’arriment encore à l’espoir. Celles et ceux qui ont vomi leurs tripes en pleine mer mais qui gardaient encore, quoique chahutés par les vagues, leurs idéaux de traverse sous  » le soleil de sel indigo » ont glissé vers la nuit si bien. Arrivés à « bon » port, ils y ont abandonné leurs dernières traces.

Les voici soumis à des ordres et les corps guettent un sort qui est nourri de nouvelles peurs là où à l’accueil bienveillant fait place à des camps entourés des rondes des gardiens et leurs pas de prétendues lois. Restent aussi l’ennui, la douleur et parfois la fuite pour quitter « les ressorts d’un dortoir rance ».
La mer et ses dangers n’est plus mais ce qui lui succède n’est guère mieux. D’où le « choeur sec de criquets mâles / criant / (sous l’ordre des grades et des instruits) traités comme des « crevures ».

L’auteure endossant l’état d’une telle exilée nous fait vivre des lieux où les rêves pleurent dans la chaleur lourde et où « les gars s’agrippent comme ils peuvent aux rêves du matin ». Tout devient règle et rang là où s’élargit à tous les exils un tel récit.
Il est vrai que les divers camps de rétention se ressemblent même si, ici, la nature et ses orangers pourraient parfois être accueillants.

L’errante sur un sol de même genre doit devenir indifférente tant que faire se peut aux avanies en tentant d’oublier l’horizon cerclé de rouge. Elle garde « la mort accrochée » à son épaule mais essaie de calmer l’acidité au cœur des rejetés.
Et même l’amour n’y peut rien : « chaque fois / qu’un rayon de toi / élargit la surface lissée de nos silences / c’est un astre / tapi dans la dune / qui s’effondre / et palpite », et les mots eux-mêmes dérivent sauf ceux qui incisent une telle « épopée » des miséreux poussés par la chimère au-delà des mers, là où le corps-miroir de celles et ceux que nous rejetons est réfléchi par le corps du récit.

jean-paul gavard-perret

Nelly Froissart, Du sable à la mer, Editions sans escale, 2023, 76 p. – 12,00 €.

Laisser un commentaire