Les chroniques (Emile Zola / Eric Charon)

Les chroniques (Emile Zola / Eric Charon)

© Simon Gosselin

La société prise aux tripes

Cela commence à l’entrée du théâtre. On dépose des baquets sur le parvis, où l’on fait la lessive. Rapidement, les répliques se font acerbes. La violence surgit naturellement des invectives. Cette histoire de linge sale et de dignité à défendre contre la misère engloutissante demeure celle des femmes qui se battent contre leur sort.
On se met à slamer, dans le cercle voyeuriste du public, au son de l’accordéon, comme pour adoucir le tableau, au risque de laisser les mots sans contrôle. C’est qu’on s’installe – noblement – dans le populaire, et dans la trame de forces qui nous attisent en même temps qu’elles nous construisent. Personne n’est victime mais on sait entrer là dans le cycle désespérant de la détresse et des conditions laminées.

Une fois à l’intérieur, dans une ambiance nocturne rendue inquiétante par la clarinette et le clavier, Jacques Lantier apparaît en proie à ses fantômes : il combat honnêtement les pulsions qu’il rencontre en lui, interdit. Soudain, c’est sa déposition, l’interrogatoire qui suit le meurtre de Grandmorin. A peine un temps, on se retrouve chez Gervaise qui, après avoir cédé aux avances sincères de Coupeau, une fois mariée, ayant acquis sa boutique et l’ayant rendue prospère, après l’accident de son mari, qui le fait déchoir, commence à se laisser aller aux mœurs qui grisent.
L’engouement et l’entrain font bientôt place aux calomnies, à la déchéance, à la disparition sociale, sans doute physique. Le dernier tableau nous place devant l’abandon désespéré de Séverine à Lantier, lequel se livre enfin à la violence qu’il contenait, en la retournant contre elle. C’est l’ombre, puis la figure de Denizet (juge intègre de Germinal et de L’œuvre), qui incarne(nt) d’abord la conscience de Lantier, puis sa culpabilité. Son propos est réécrit, ajoutant pour la scène une résolution que ne peignent pas les romans.

Eric Charon porte Zola à la scène au moyen d’un dispositif original, dynamique et édifiant, constituant une véritable performance qui ne cesse de réactiver notre écoute. Il restitue avec verve l’intention foncière de Zola, cherchant à prendre la société par les tripes, nous faisant entrer dans des histoires singulières par le sang, les pleurs, les halètements. La représentation joue sur des modes d’énonciation très maîtrisés et très variés : face à face impitoyables, interrogatoires en aveugle, prise à partie du public, parole solitaire poignante, scènes chorales, jusqu’à des voix venues d’outre-temps.
On assiste à un glissement virtuose des rôles, propre à nous interroger sur nos identités similaires, dans un brouillage des dates, propre à questionner notre distance à l’écriture. Un spectacle réussi, porté par une troupe exceptionnelle d’énergie et de présence, promis(e) à un bel avenir. Une valeur.

christophe giolito & anne-laure benharrosh 

 

L e s   c h r o n i q u e s 

d’après Emile Zola 

Adaptation et mise en scène Eric Charon

 Avec Zoé Briau, Éric Charon, Aleksandra de Cizancourt, Magaly Godenaire, Maxime Perrin (accordéon, percussions et clavier), David Seigneur, Samuel Thézé  (clarinette et sampling), et la voix de Olivier Faliez.

Collaboration artistique Agathe Peyrard ; scénographie Zoé Pautet ; musique Maxime Perrin en collaboration avec Samuel Thézé ; lumière Julie-Lola Lanteri ; costumes Julie Scobeltzine ; assistanat aux costumes Annamaria Di Mambro ; régie générale Pascal Gallepe ; régie plateau Frédéric Gillmann ; régie lumière Luc Muscillo ; réalisation des costumes et accessoires Nelly Geyres ; habillage Barbara Ouvray.

Au Théâtre Gérard Philipe 59, boulevard Jules-Guesde 93 207 Saint-Denis Cedex
Du 29 Novembre au 15 Décembre 2024, du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h30, relâche le mardi, durée : 2h15– Salle Mehmet Ulusoy, spectacle conseillé à partir de 15 ans.

Production Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis.
Remerciements Julie Bertin, Carole Malinaud et Marie-Anaïs Bigo de La Réplique, Marseille.

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