Johann Chapoutot, La Révolution culturelle nazie
Vieille ritournelle mortifère
Johann Chapoutot poursuit ce qu’il a commencé dans deux de ses précédents livres ( Le National-socialisme et l’Antiquité, La Loi du sang : penser et agir en nazi : l’instrumentalisation nationale-socialiste d’une Antiquité fantasmée et reconstruite selon des critères raciaux. Une noria de prétendus savants en devinrent la caution et répondaient avec servilité à une idéologie. Par leurs soins, elle se colora d’une pseudo vérité « scientifique ». Cette doxa créa entre autres une filiation entre Grecs et Allemands peu évidente a priori. Et il n’est pas jusqu’à la flamme d’Olympie à regagner par leurs propos sa « matrice septentrionale » en de belles torsions discursives.
Une telle mobilisation de l’Antiquité au service du nazisme n’était pas d’une évidence flagrante. Face aux « penseurs » classiques du pangermanisme et d’une Allemagne médiévale largement mythifiée, faisant l’impasse sur la Rome antique « confisquée » par Mussolini, les théoriciens s’orientèrent vers la Grèce que les hommes du Nord rêvaient d’occuper dès 1941 afin de régénérer un peuple « abâtardi » par les occupations turque et chrétienne.
Pour ces penseurs les Grecs sont des Nordiques au simple titre qu’ils ont bâti la civilisation la plus brillante qui a vu naître la philosophie occidentale. Dans cette approche, Sparte la Dorienne détrône Athènes en incarnant les vertus d’une race pure qui préfigurerait la politique raciale des hitlériens. Pour eux, Aristote n’est qu’un vulgarisateur, les stoïciens des « asiatiques » décadents, le reste se combine en un bidouillage rhétorique pour croiser origine indo-aryenne et autochtonie. Tacite lui-même – du moins les présupposés que les « savants » du Reich attachent à sa pensée – leur fournit une aide précieuse : les Anciens auraient prouvé que les mélanges affaiblissaient les peuples.
Mais Chapoutot élargit ici les propos de ses deux livres précédents. Il rappelle comment la culture a été détournée de son essence naturiste initiale – à savoir la transcription et le culte de la terre, de l’eau et de l’homme primitif défenseur de sa tribu. Le grand « tournant » serait marqué par la venue des Sémites en Grèce et leur évangélisation par le judéo-christianisme. Pour sauver la race nordique-germanique, les théoriciens ont donc bétonné ce qu’Hitler rêvait : les fondements d’une « révolution culturelle », manie des dictateurs quelle qu’en soit la couleur – Staline et Mao ne sont jamais loin. Et ils trouvent toujours des intellectuels forts de présupposés fantaisistes. Les « philosophes » nazis revisitant la Révolution Française (dont le droit fut revu « à la louche ») puis Kant et son impératif catégorique allaient réécrire une « morale »(sic) propre à une idéologie qui se targuait de refonder l’occident. C’est une vieille ritournelle mortifère toujours prête à se réanimer.
jean-paul gavard-perret
Johann Chapoutot, La Révolution culturelle nazie, Gallimard, collection Bibliothèque des Histoires, 2017.
