Joël Bastard, Les couvertures contemporaines suivi de Le principe souterrain

Joël Bastard, Les couvertures contemporaines suivi de Le principe souterrain

La question du livre

A quoi sert le poème – et plus largement le livre – sinon ce flux qui nous permet d’atteindre en son voyage ce qui, jusqu’à lui – et en ce qu’il représente de concrétisation de l’abstrait des signes –, demeurait tel un supplément non communicable ?
Il veut croire que ce n’est pas le ver qui est dans le fruit mais que le fruit reste dans le langage, comme le poème dans le livre. Seule cette idée sauve du désastre. « C’est par là que je vais toujours recommencer », dit Bastard pris dans on ne sait quelle nuit de Lucifer, du Christ et du commun des mortels habités des « souterrains ».

Sa langue n’est là que pour repérer les mauvais coups et – ça et là – les cris du juste au milieu de la peur, de la fureur mais aussi la poésie. Toute en éruption, elle « dé-génère » et déroute sans fin. Elle nous plonge loin du stupre et de la nostalgie.
« Nous accumulons des strates et des strates de connaissances. Le pied de l’enfant cognera la pierre du matin. Cognera encore une fois la pierre du matin. Nous ne savons rien de plus que cette dernière illusion dense ! », écrit Bastard. A travers lui, il s’agit de se tenir là dans le temps, sur cette rive. Pieds nus dans le silence des éboulis. La pente se tenant elle aussi sur la rivière. Se dressant dans le bleu excédé. Se retenant dans la chute de sa propre disparition. Elle finira par se laver de sa verticalité légendaire.

Dans le mélange des chemins transparaît le retournement des fondations confidentielles. Les portes désolées. Elle finira dans le ventre éviscéré des truites noires. Le livre permet soudain le glissement du voyageur en son être. Car à quoi sert le livre sinon à nous délivrer du temps où erre le désir privé d’objet ?
Joel Bastard crée un ordre qui ne se perd plus dans l’énigme des situations de hasard mais d’absolu face à un monde d’ombres et de secret. S’y ébauchent des formes qui ne sont pas l’essence unique de l’écriture mais de l’objet lui même. L’opération de la poésie passe donc par le livre qui, plus que la contenir, la façonne aussi. Le livre est donc pour lui la «sécrétion » du secret qu’il dévoile. Il a donc pour l’auteur la vérité de parole et d’image. C’est aussi un « abyme » qui peut devenir tentaculaire et au sens méduséen du terme : il attire dans son suspens.

Le livre est l’épreuve de vérité d’un texte, son filtre et non pas ce qu’il appelle son vestige. Avec le livre, une autre expérience est possible. La révélation du livre est pour Bastard plus complexe que celle de l’écriture. Le livre engendre une autre réverbération dans la construction d’un lieu où l’autre est présent autrement. Surgit une entité (que ne révèle pas forcément le texte détaché du livre) face à une autre entité.
Il existe donc une économie du livre qui transcende celle de la simple écriture et ce, non seulement dans des cas d’école – comme chez Mallarmé, Apollinaire ou Claude Simon par exemple). A travers lui, ce qui ne peut se dire n’est pas forcément t,u ne reste pas forcément lettre morte. Le livre donne à lire quelque chose que le texte n’a pas. Il offre un « pas au-delà » à l’écriture,. Il l’engage autrement, non seulement par rapport à ce qu’il dit, et ce, jusqu’au au monde qui va le recevoir dans un tel déconditionnement .

jean-paul gavard-perret

Joël Bastard, Les couvertures contemporaines suivi de Le principe souterrain, Gallimard,collection Blanche, 2024, 186 p.

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