Jean Renaud, 67 compressions suivi de petite suite racine
Le babil des dangereuses et dangereux
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, professeur de Lettres en khâgne, auteur d’études portant sur la littérature française du XVIIIème siècle et sur des contemporains (Simon, Genet, Prigent, Cadiot, Hocquard, etc.), romancier et poète, Jean Renaud offre un panorama de « sa » littérature.
Ses textes s’inscrivent dans la continuité et l’esprit de la revue TXT. Il s’agit de compressions littéraires (comparables de celle de César en art). En peu de mots, les ruptures culturelles sont rendues évidentes. Et ce, des élégies de Properce, les pastorales d’Urfé, les élans polis de Scudéry, les prouesses de Casanova, les charmes helléniques de Louÿs, jusqu’au cynisme de Houellebecq et bien d’autres encore puisqu’il n’est pas jusqu’à Delly à ne pas être épargné par le stylet de Renaud.
Il en va de même, à propos des mœurs, entre les carnages de Suétone, l’apocalypse revue par d’Aubigné, les crimes jouisseurs de Sade, jusqu’aux meurtres posément élucidés de Simenon. Toute une métaphysique cul par-dessus tête et une érotique s’inscrivent en de tels textes.
Surgit de vignettes subtiles et parodiques (mais pas seulement) l’envers du miroir de nos territoires prétendument conquis dans ce qu’il reste de nos lectures, ici reprises et revisitées. L’auteur découpe des « man’s land » presque aussi oniriques que discrètement tragiques. Nos souvenirs littéraires s’arc-boutent en border lands.
Reste cette scénographique essentielle, grave, délétère parfois, drôle souvent mais jouissive. A la place des mots d’ordre, ce sont leur compression et leur réduction qui servent de revendication implicite à une lecture et par rebonds des relectures activistes.
Par exemple, de La Rochefoucauld, l’auteur ne retient aucune maxime, préférant mettre l’accent sur d’autres aspects que l’auteur lui-même n’avait fait qu’effleurer. Il en va de même avec Bossuet dont le mysticisme, tout comme le voyeurisme et l’exhibitionnisme de Casanova, Sade, Bataille ou Genet, trouve une autre substance. De tous les corpus dont il se saisit, Renaud – par un lexique chaque fois adéquat – touche le fond de vérité cachée comme les tréfonds noirâtres de l’âme.
Chaque auteur est là, quelques lignes compressées suffisent à « tout » dire loin des oeuvres – du moins comme nous les avions « tendues ». Ici elles évoluent, pointent un nouveau visage, pèsent en nous de manière plus notoires.
jean-paul gavard-perret
Jean Renaud, 67 compressions suivi de petite suite racine, Unicité, Paris, 2023, 102 p.