Entretien avec Didier Ayres (Sphère)

Entretien avec Didier Ayres (Sphère)

Entretien à propos de Sphère de Didier Ayres (éd. La Rumeur libre, 2024), mené par Yvonnick Châtelas, à la Médiathèque Paul Éluard de Vierzon, et capté par Yasmina Mahdi

Telle est la mesure de l’homme

Riche en mérites, mais poétiquement toujours,

Sur terre habite l’homme.

Friedrich Hölderlin

Yvonnick Châtelas : Quand as-tu commencé à écrire ?

Didier Ayres : Depuis la Guyane française, parmi des marins chiliens, échoués sans bateau dans ce bout du monde coincé entre fleuve et terre – Kourou à 18 ans. Mes premiers écrits, des sortes de nouvelles, des prémices de l’écriture, ont été inspirés du Loup des steppes de Hermann Hesse, hélas feuillets perdus.

Y. CH. : Ce sont des voyages à la Conrad ?

D. A. : En quelque sorte, voyages qui m’ont emmené aux Antilles, au Brésil puis au Caire, à Louksor, et encore en Méditerranée (Grèce, Crète).

Y. CH. : Y a-t-il une énigme de l’écriture ?

D. A. : Face à l’énigme de l’écriture, je ne sais pas comment la poésie m’est venue, ni quel en a été le déclencheur. Sans doute au bout de plusieurs ruptures (assez brutales), des chocs… Un mage, à Cayenne, m’avait prédit en lisant mes lignes de main : « ta vie ressemblera à un vol de papillons noirs sur un ciel tourmenté ». Néanmoins, il n’y a pas eu de révélation, en ce qui concerne la poésie.

Y. CH. : Ton parcours ?

D. A. : Au départ, j’ai tenté le concours de La Fémis, après avoir suivi un cursus à l’IET (l’Institut d’études théâtrales) de Paris 3, puis des études de lettres à Bordeaux III Montaigne. Finalement, j’ai rédigé et soutenu la première thèse sur Bernard-Marie Koltès, tout en travaillant, d’abord à la bibliothèque universitaire de Paris 8. Auparavant, j’ai occupé un poste à la Cité des sciences et de l’industrie, où j’ai rencontré ma compagne plasticienne Yasmina Mahdi.  J’ai été responsable d’ateliers d’écriture aux universités de Bordeaux et de Limoges.

Y. CH. : Tu as un rapport quasi hölderlinien à la poésie, ta poésie étant celle de l’élévation. Ce que relève Heidegger à propos d’Hölderlin en 1951, lors d’une conférence intitulée : « Poétiquement habite l’homme ». Et pourquoi les poètes en temps de détresse ? « Parce que, répond Heidegger, « ils reprennent le flambeau, à partir du moment où les dieux sont partis ».

D. A. : Oui, pour moi, il s’agit du mythe d’Actéon. Le poète voit Diane chasseresse, et sera transformé en cerf. Le poète figure Actéon et Diane, la poésie. D’où la violence dans le fait d’écrire. Écrire n’est pas sans danger.

Y. CH. : Kafka dit : écrire, c’est toujours poser sa tête sur le billot. [« Sauter, comme dit Kafka, hors de la rangée des assassins ».]

D. A. : Écrire, c’est un mélange de travail et d’inspiration. Je reprends mécaniquement mes écrits manuscrits. Durant une insomnie, j’invente 3 ou 4 vers. Chaque auteur a son rythme. Tel Mallarmé, écrire c’est être ouvrier du langage. La grande idée du moment, c’est le gouffre ; déterrer des choses du langage. La perte du père en 2020 a ouvert le récit au récit de ma vie – en une forme de confession, presque un rapport à la biographie, aux éléments intimes. Le refoulé du récit.

Y. CH. : Pourquoi 33 x 3 ? 33 x 3 = 99. Était-ce planifié ?

D. A. : Je ne sais pas. Pour ne pas clore le livre, décrocher, sans titre à la fin. Un poème très long annonce le récit.

Y. CH. : Quelle est ta conception de la poésie ?

D. A. : La poésie doit être oxymorique, il s’agit de saisir une totalité dans ses contradictions. Or beaucoup de choses échappent. L’écriture est un soin pour la blessure narcissique. Les mots sont là pour éprouver, faire éprouver.

Y. CH. : Ton écriture est au cordeau, à l’aspect très visuel.

D. A. : Mon récit personnel se construit d’après des photographies. Il y a cet aspect de l’image poétique et celui de la vraie image – ce que j’éprouve par rapport à la photographie.

Y. CH. : Le mot éprouver, c’est très bien.

D. A. : C’est un grand recueil élégiaque. En réponse à Hölderlin…

Y. CH. : À propos de Sphère, la sphère, c’est de l’intime, pas une bulle. La sphère a un aspect clos sans être une bulle. Dans ton livre, il y a une porosité. C’est un exercice du centre vers la périphérie.

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