Entretien avec Alain Herzog (Théâtre National de la Colline)
Alain Herzog nous dit tout – enfin, presque… – sur le Théâtre National de la Colline…
Entrele Théâtre National de la Colline et Le Littéraire, tout a commencé par une invitation à assister au spectacle Le Retour de Sade – textes de Bernard Noël, mis en scène par Charles Tordjman. Invitation assortie par ailleurs d’une offre grand sourire : un tarif préférentiel accordé à quiconque s’annoncerait, en réservant sa place, lecteur du Littéraire. Pour répondre à de si belles avances, la moindre des choses était que nous nous intéressions de plus près à ce théâtre, et que nous nourrissions nos pages de ce qui s’y passe, de ce qui s’y joue. Mais au-delà même des mouvements de l’immédiate actualité, nous avons voulu mieux connaître l’histoire du lieu, la manière dont fonctionne aujourd’hui le Théâtre de la Colline. Et pour cela, nous n’aurions pu avoir de meilleur guide qu’Alain Herzog…
Alain Herzog, vous êtes administrateur du Théâtre National de la Colline ; que recouvre cette fonction ?
Ma tâche première est de faire en sorte que le projet artistique du directeur puisse être mené à bien – et ce dans toutes ses dimensions. Ça consiste notamment à rechercher les productions susceptibles de s’inscrire dans ce projet, et à s’occuper de la communication – à cet égard nous avons considérablement modifié notre façon de communiquer auprès de public. Quand Alain Françon est arrivé, nous avons mis en place, en plus des outils traditionnels de communication, un document annuel, LEXItextes, qui rassemble des textes originaux autour de la programmation de la saison. Il ne s’agit pas de textes explicatifs à propos des spectacles proposés mais de textes commandés spécialement pour LEXItextes, qui portent sur des auteurs joués. Ce document, qui est offert à nos abonnés, peut aussi être acheté.
En dehors de tout cela, je suis aussi chargé de veiller aux détails matériels : approvisionnement du coin restauration, confort des sièges dans les salles… etc.
Puisque l’on évoque vos outils de communication, parlez-nous de votre site internet… depuis quand existe-t-il ?
Il est né en 2000 ; il est très riche et reçoit de très nombreuses visites – à tel point que nous venons de lui adjoindre un outil supplémentaire, une revue en ligne qui devrait paraître tous les deux ou trois mois. Elle propose des sujets autour des auteurs programmés : nous avons consacré un dossier à Daniel Danis, un autre à Michel Vinaver, et pour la prochaine livraison de la revue, nous en préparons un sur Toni Negri. Elle fonctionne exactement comme une revue papier, à cela près qu’elle est publiée en ligne.
Pourriez-vous retracer les grandes lignes de l’histoire de ce théâtre ?
Raconter l’histoire de ce lieu, c’est en quelque sorte raconter celle du théâtre public en France. Ce théâtre est né, dans les années cinquante, de l’initiative du metteur en scène Guy Rétoré. C’était alors la pleine époque de la décentralisation et de la promotion du théâtre en région. Guy Rétoré voulait lui aussi faire du théâtre chez lui – et comme il habitait Paris, il a, d’une certaine manière, inventé la décentralisation… à l’intérieur même de Paris ! il dirigeait une compagnie appelée La Guilde et cette structure était installée là où nous sommes aujourd’hui – ce qui à l’époque était un ancien cinéma baptisé Le Zénith. L’endroit fut successivement compagnie, centre dramatique national, maison de la culture, pour finalement devenir, en 1972, théâtre national. C’est-à-dire un équipement qui appartient à l’État, et à la tête duquel, a priori, on nomme un artiste. En 1982, Jack Lang décide d’inscrire dans les Grands projets de Mitterrand la transformation de ce lieu ; le bâtiment existant est donc détruit puis un nouvel équipement construit. Il sera inauguré en 1988 ; Georges Lavelli est alors nommé directeur. Guy Rétoré, lui, a continué à faire du théâtre dans sa salle de répétition, située avenue Gambetta – là où a été transféré le TEP – et il poursuivra son activité dans cette salle jusqu’en 2000.
Georges Lavelli dirigera le théâtre pendant dix ans ; et pendant ces dix années, il a prouvé que son projet de départ – ne monter que des créations contemporaines – était tout à fait réalisable dans un théâtre public. En 1997, Alain Françon remplace Georges Lavelli ; il entreprend d’élargir la mission du théâtre et d’organiser la programmation en fonction d’une perspective plus historique : il s’agit de montrer à travers les spectacles proposés comment on est passé de la dramaturgie de la fin du XIXe siècle à ce qui se fait au début du XXIe siècle – projet sous-tendu par l’idée qu’il est difficile de présenter des auteurs contemporains sans un regard sur ceux qui les ont précédés. Par exemple, voir jouer une pièce de Vinaver prend tout son intérêt quand on sait qu’avant, il y a eu Brecht et Tchékhov. L’évolution de la dramaturgie au XXe siècle ainsi balayée reflète aussi les grandes étapes de l’histoire de ce siècle, notamment l’Holocauste.
Comment se définit le projet artistique d’Alain Françon ?
Quand il a pris la tête de ce théâtre, il a dit : « Je n’oublierai jamais que nous sortons d’un siècle qui a connu l’Holocauste. » Une telle annonce programmatique suffit à indiquer que l’on ne va pas donner dans le divertissement ! Étant donné que nous travaillons au sein d’un théâtre subventionné par l’État, nous considérons que nous avons une mission – une mission d’éducation qui dépasse le seul divertissement : sans vouloir être trop prétentieux, nous avons pour ambition, à travers nos programmations, d’amener les gens à réfléchir. Ce qui n’est pas forcément austère et synonyme d’ennui : il y a beaucoup de gens qui aiment réfléchir. Vouloir susciter la réflexion ne veut pas dire que nous ne cherchons pas à être séduisants !
Vous parlez d’éducation, de réflexion… est-ce que vous menez des actions spécifiques auprès des écoles ?
Oui, absolument. Cela implique tout d’abord la mise en place de plusieurs initiatives destinées à susciter chez les élèves l’envie de venir aux spectacles – dans le cadre de vraies représentations et non pas de « matinées scolaires » : nous voulons faire en sorte que les collégiens et lycéens ne soient plus dans le contexte du théâtre obligatoire. Nous proposons donc des programmations spécifiques, des ateliers, des dossiers pédagogiques grâce auxquels les professeurs peuvent préparer leurs élèves à ce qu’ils vont voir, et nous mettons également en place divers programmes visant à transformer certaines classes en comités de lecture. Et puis nous accomplissons un très gros travail de communication auprès des établissements scolaires. Cet engagement s’est avéré des plus encourageants puisque nous sommes ainsi passés de zéro à 1 100 abonnés scolaires – et ce avec une programmation ne comprenant que des auteurs du XXe siècle, qui ne sont pas forcément étudiés en classe…
Depuis quand existe le point librairie au Théâtre de la Colline ?
Il existe depuis plus d’une dizaine d’années. La présence de ce point librairie s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de la vision du théâtre que développe Alain Françon depuis son arrivée au Théâtre de la Colline, à savoir que théâtre et littérature sont étroitement liés, qu’ils appartiennent à la même famille artistique. Avec une telle conception du spectacle vivant – qui ne va pas forcément de soi : on peut très bien aborder le théâtre avec un tout autre esprit – le point librairie prend une importance toute particulière ; nous avons donc des relations très fréquentes, très suivies avec François Leclère [de la librairie Le Coupe-papier, 19, rue de l’Odéon à Paris – NdR] de façon à ce qu’il puisse adapter ce qu’il va proposer à la programmation du théâtre.
Autre témoignage de notre effort permanent pour montrer combien est étroit ce lien entre théâtre et littérature, nous organisons, chaque fois qu’un spectacle est monté, des « soirées auteur » dont la teneur et la forme peuvent varier énormément mais qui sont systématiquement proposées, que l’auteur soit vivant ou non. On y lit des textes, bien sûr, mais ces soirées sont aussi l’occasion de mettre en place des choses très originales : par exemple, Daniel Danis a concocté lui-même sa soirée auteur, et lorsqu’on a programmé Les Paravents, de Jean Genet, des comédiens ont lu des textes de Genet qui n’avaient rien à voir avec son œuvre dramatique…
Il nous arrive aussi d’organiser des événements littéraires en liaison avec les éditeurs lors de la sortie de certains livres, où les auteurs sont invités à venir en lire des extraits.
Comment se décide une saison ? S’articule-t-elle autour d’un thème ?
Il n’y a pas de règle particulière sinon celle de se conformer au projet de l’artiste qui dirige le théâtre… À partir du moment où Alain Françon va s’intéresser à Edward Bond, ou à Daniel Danis, cela va conditionner le reste de la programmation. Ainsi, pour la saison prochaine, que nous sommes en train de
préparer et qui commencera au moment du Festival d’automne, Alain Françon va monter Platonov – et les autres spectacles vont être choisis en fonction de cela, avec toujours cette intention sous-jacente d’amener le spectateur, tout au long d’une saison, à parcourir le XXe siècle.
Lorsque vous programmez un nouvel auteur, un nouveau metteur en scène… est-ce qu’ensuite vous essayez d’avoir une politique de « suivi » vis-à-vis du travail qu’ils vont accomplir par la suite ?
Non, pas forcément, ça dépend avant tout de la proposition qui nous est faite, de la manière dont elle peut s’inscrire dans le projet artistique mis en place par le directeur. Personne n’a de « tickets » !
Est-ce que le Théâtre de la Colline a une forte politique de présence dans les divers festivals et autres événements de ce type ?
Il n’y pas de politique prédéterminée en direction des festivals. Tout dépend des spectacles, des projets que l’on entend développer. Là, par exemple, la Colline est au Festival des arts de Montréal parce que Daniel Danis est un auteur associé à La Colline, et qu’il y a eu toute une opération autour des spectacles qu’on a montés. L’année prochaine, on projette d’aller à Avignon – les pourparlers sont en cours – mais ce sont des décisions qui se prennent en fonction des projets. Cela dit, à partir du moment où s’organise un événement qui permet les rencontres, les contacts, les échanges entre professionnels du théâtre, auteurs, comédiens… etc. nous nous devons d’être présents.
isabelle roche
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Propos recueillis le 12 mai 2005 au théâtre de la Colline. |
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