Ce nez – qu’un au revoir (en corps)
Ecrire, c’est passer d’un ordre de discours à un autre, qui se référant au premier, le nie, le reconnaît et le transforme. C’est la seule transcendance de l’écriture. Elle n’a rien de métaphysique, s’en distingue et s’en autonomise. Le langage doit se briser, se perdre, s’oublier afin de pouvoir se constituer autrement.
Car les mots ne parlent pas, nous les rencontrons, les redécouvrons en ce qu’ils nous apportent selon le mouvement qui emporte et qui – dans des moments privilégiés – semble exprimer ce qui n’avait jamais encore été dit « comme ça ». La part d’irrationnel ou d’inconscient dans ce que nous nommons sans doute avec prétention « création » réduit la maîtrise accordée à une instance purement réflexive.
Ce sont les événements écartés et reniés qui surgissent à l’écrivain. A savoir ceux dont il n’a pas choisi d’y “penser”. Il n’a pas à témoigner ou défendre un sens préétabli mais celui qui se construit. Il avance dans un but plus esthétique que contemplatif, plus combatif que militant.
Sans cette simple volonté, l’auteur ne peut habiller son texte que d’un vêtement théorique qui n’est pas à sa mesure. La “monstruosité” en effet ne s’explique pas. Elle est ou n’est pas comme le prouvent les fictions de Bataille ou de Beckett, là où une fuite a lieu et où de tels auteurs ne s’y soustraient pas. Hors là, point de nécessaire présence. Celle-là n’entraîne pas forcément un gain : elle peut même être l’objet de sa négation et d’un amour qui n’est pas rendu.
Mais rien n’est dû : le domaine de l’écriture est ouvert à l’échec. Dans un tel acte, rien n’est décidable a priori. Le travail de composition est certes considérable mais il vient après la poussée génésique qui ignore le faux, le vrai, le bon, le raté : seuls la syntaxe et le vocabulaire s’en mêlent avec la disposition propre à la facture, au sein d’une rythmique qui lance et porte afin qu’un énoncé prenne forme là où le désir expressif s’incarne, chargé d’une dimension corporelle, donc autre que réflexive ou intellectuelle.
Elle décompose et redistribue ce qui n’a pas été prévu et d’avance joué. Henri Meschonnic l’avait senti en insistant sur le continu du rythme mais en restant sur les bords, préférant Bible et Talmud au corps et la corporéité même du langage. L’esprit pour lui aura disposé de la matière sans comprendre qu’elle naît du corps multiplement sémantique et se fichant de la vertu des codes.
Imaginer un langage, c’est imaginer un corps. C’est peut-être la vraie découverte dans le langage. Et celui-ci d’ajouter « Tu me laisses finir comme ça ? » (Beckett) afin qu’ad libitum la partie continue.
jean-paul gavard-perret
Photo d’Anne Immelé