Catherine Millet, Une enfance de rêve
L’enfance chez Catherine Millet est ouverte sur l’ailleurs : ce n’est pas une « chose » mais un territoire où le corps d’abord fantomatique se révèle par une curiosité et une lucidité premières aptes à traquer l’insaisissable et ce, jusque dans le trouble Pif le Chien au corps étrangement humanoïde et nu (mais il est vrai asexué). Cette enfance dans son cheminement intérieur permit à la future femme d’entendre ce qui n’avait pas encore de nom, de s’approcher d’elle-même dans l’apprentissage parfois confus de l’altérité. « Une enfance de rêve » n’est donc pas une enfance rêvée. La différence est essentielle.
Face à une mère midinette hystérique et un père siffleur volage, Catherine Millet ne se voulut pas princesse de Clèves au grand cœur. Remettant sans cesse son devenir sur les rails, elle apprit à regarder devant elle, ouverte à la découverte de terres inconnues. C’est pourquoi son livre ne souffre pas d’un tropisme passéiste : l’auteure ne se retourne pas se réfugier en nostalgie. L’écriture de son enfance est un aller, non un retour. Il est une ouverture – « thème » clé de l’auteure et théoricienne à qui il est reproché parfois choix et évolutions artistiques sans comprendre qu’elle n’est pas « fixée » à une esthétique même si elle demeure d’une fidélité absolue à certains amis : Dufour par exemple. Mais tandis que chez lui la durabilité se construit par « inconscience et inutilité » (L’Oranger des Orages), chez Catherine Millet elle est plus positive et « mûre ». Loin de la culpabilité et de la volonté d’en faire une histoire, la vie passée ne s’efface pas au profit de celle du présent : les deux forment un même chemin.
Par son œuvre autobiographique, l’auteure gagne en humanité et simplicité. Et ce, même si son premier livre de mémoire : La vie sexuelle de Catherine M. a brouillé bien des pistes sur lesquelles d’ailleurs l’auteure s’est expliquée (Jours de souffrance). Mais Catherine Millet ne pouvait devenir ni bas bleu, ni voluptueuse diablesse. Une enfance de rêve le démontre. Il existe chez l’auteur un éthos naturel et une poétique du littéral qui puisent leur force du côté de Bois-Colombes. L’écriture en est l’imprescriptible trace. Elle donne à la vie et l’œuvre une dimension solaire et altruiste dont l’auteur(e) ne se vante jamais. Son livre évoque enfin le courage nécessaire pour assumer toutes les fidélités. Catherine Millet n’en manque jamais : même entre les jambes de sa mère, au jour premier, elle montra ce visage…
jean-paul gavard-perret
Catherine Millet, Une enfance de rêve, Flammarion, 2014, 288 p. – 19,50 €.