
Annie Degroote, Les Amants de la petite reine
Une page d’Histoire
Céline Baert vit deux bonheurs en un mois. D’abord, elle vit le remariage de sa mère, Hélène, avec Monsieur Alexandre, et ce dernier lui offre son premier vélo de fille. C’est sur la Grand-Place d’Hazebrouck qu’elle voit Juliette Verley, sur le pas de leur maison. Avec ses dix-sept ans, son air volontaire, cette adolescente est son modèle bien que beaucoup de choses les séparent.
La vie que mène la population de cette région du Nord de la France bascule le 10 mai 1940 avec l’invasion allemande. C’est, dans un premier temps, la fuite devant l’ennemi, avant de revenir chez soi. Mais tant de choses ont changé et la vie devient triste et encore plus difficile.
C’est lors d’une kermesse organisée par des Cathos, où Céline vend des mouchoirs brodés et des fleurs au bénéfice des soldats prisonniers, qu’elle est remarquée par Louis, le frère cadet de Juliette. Comme une apparition, elle disparaît brusquement. Quand il la retrouve, Louis comme Céline réalisent que plus jamais ils ne pourront vivre l’un sans l’autre. Or, entre Cathos et Laïques, et dans cette période particulièrement troublée, rien n’est simple…
Une histoire sentimentale comme il en existe, heureusement, assez fréquemment, porte l’intrigue. Deux adolescents, dans un monde fracturé, saccagé, se trouvent et comprennent que rien ne doit les séparer. Entre Céline et Louis, c’est pour toujours. Mais il va leur falloir lutter et vaincre des préjugés, des barrières stupides érigées au nom d’absurdités.
À lire ce roman, écrit en 2005 et judicieusement réédité cette année, on retrouve énormément d’événements qui résonnent douloureusement car ils se réinventent à l’heure actuelle. C’est cette menace d’une nouvelle guerre. En quelques paragraphes, l’auteure dépeint, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, des États-Unis bien semblables à ceux qu’ils sont en train de devenir sous la houlette du méprisable décoloré au masque d’anti bronzant orange, crise qui a atteint son paroxysme avec le maccarthysme. Mais elle raconte les années de guerre du côté des civils, des populations soumises au joug d’un occupant avide de ressources de toutes natures pour financer ses guerres.
La romancière donne nombre de détails sur le quotidien, les façons de pallier les manques, de tenter de contourner les pénuries. Ainsi, par exemple, elle cite la manière de matérialiser des bas sur les jambes des dames, en l’absence de ceux-ci, avec des colorants. Elle décrit avec soin la Petite Reine, la bicyclette devenue, avec l’absence de carburants, le moyen de locomotion le plus utilisé. Elle raconte les systèmes matériels nécessaires pour la fabriquer, la réparer ou obtenir les pièces de rechange. Avec Louis, elle dépeint un passionné.
Elle met en scène les grandes courses cyclistes, du Tour de France avant la guerre, des épreuves sur piste à Paris au vélodrome d’Hiver et ses célèbres Six Jours. C’est pour Céline, le monde du théâtre dans la Capitale, pour Louis, celui de la fabrication de pièces à Saint-Étienne.
Ce livre est magnifiquement documenté, on pourrait presque le qualifier d’ouvrage historique tant il est riche en informations sur les événements de l’époque sur le quotidien des populations sous une occupation féroce.
Avec une belle histoire sentimentale, Annie Degroote fait vivre une époque difficile, une période terrible, à travers les parcours d’une suite de personnages presque tous attachants et superbement campés. Un régal de lecture.
serge perraud
Annie Degroote, Les Amants de la petite reine, Les Presses de la Cité, coll. Terres de France, janvier 2025, 400 p. – 23,00 €.