Après une vie passée parmi les hommes, Mowgli décide de retourner en Inde pour y finir ses jours. C’est parti pour de nouvelles ( ?) aventures !
La migration vers la civilisation, puis le retour de l’Homme à la Nature, voilà ce que nous promet Stephen Desberg pour ce Dernier livre de la jungle prévu en cinq tomes. Aux pinceaux pour l’épauler dans cette tâche pour le moins ambitieuse, Johan De Moor et Henri Reculé nous livrent un dessin au classicisme parfaitement maîtrisé, mis en valeur par des couleurs exceptionnelles.
À la fin des années 1990, les éditions du Lombard ont décidé de s’attaquer sérieusement au marché ado-adulte francophone. Jusqu’alors l’éditeur belge (qui appartient au même groupe que Dargaud) s’était plus ou moins endormi sur son image d’éditeur jeunesse et traditionnel. Depuis ce changement de politique, l’éditeur de Thorgal est devenu le champion de la segmentation du catalogue en collections très identifiables. Il y avait déjà “Signé”, cette collection de prestige, à la pagination variable et aux ambitions littéraires. Et puis ça a été la création de la collection de polars réalistes “Troisième Vague” (avec IR$, Alpha, ou encore l’étrange Capricorne). Deux ans plus tard, en 2000, Le Lombard créait “Troisième Degré”, une collection d’humour au ton décalé dans laquelle sont éditées les aventures de La Vache (des même Desberg et De Moor, justement !) renommée Lait Entier depuis son transfert dès écuries Dupuis, ou celles du magnifique Norbert l’imaginaire (à lire absolument si vous ne le connaissez pas encore !).
Avec 2004 naît une nouvelle collection : “Polyptyque”. Son pari est de séduire les ado-adultes amateurs de bandes dessinées classiques et réalistes. Mais à la différence de Troisième Vague, qui s’organise autour de titres feuilletonesques, Polyptyque propose des séries qui doivent se conclure en un nombre d’albums limité. (Remarquons au passage que Le Lombard en profite pour passer au grand format et remplace donc son tarif traditionnel par les 12.60 euros auxquels nous nous sommes tristement habitués.)
Le Dernier livre de la jungle est la quatrième série à être publiée dans cette nouvelle collection. Issue d’une lointaine envie d’auteurs maison, cette histoire se hissera-t-elle à la hauteur de son ambition ? Après un seul album, il est encore trop tôt pour le dire. En revanche, nous pouvons déjà repérer quelques spécificités dans le traitement que le tandem fait de l’œuvre de Rudyard Kipling. Disons le tout de go, ce premier tome déçoit un peu. On s’attend soit à une relecture des Jungle Books, soit à de la création sur la vie que Mowgli a pu connaître après avoir quitté Bagheera, Baloo et les autres. Or il n’en est rien. Desberg nous présente deux histoire apparemment entremêlées. D’un côté, il y a un vieillard quitte la ville pour s’installer à la lisière de la jungle. De l’autre le scénariste nous conte quelques épisodes bien connus de l’enfance du jeune Mowgli. Bien sûr on devine rapidement — grâce aux remarques sibyllines du grand-père ( !) — qu’il est Mowgli et que la vision de la forêt lui rappelle son enfance. Mais ni le scénariste, ni les dessinateurs n’ont utilisé dans leur histoire ce regard bien particulier qu’est celui d’un vieil homme sur son passé. Pour l’instant, il n’y a rien de bien nouveau dans ce nouveau Livre de la jungle, et on se demande si l’on ne ferait pas mieux de se relire l’original.
Heureusement, dans la bande dessinée, il y a l’histoire… et sa mise en image. Pour Polyptyque, l’éditeur a voulu du réaliste ; de trait plutôt comique, De Moor a donc appelé Reculé (connu pour ses Immortels chez Glénat) à la rescousse pour les crayonnés. Et ça marche plutôt bien. Si les personnages humains (hors Mowgli jeune) restent un peu figés, les animaux sont saisissants de mouvement et… d’humanité ! Le découpage est très classique bien sûr (on regrette l’effet qu’auraient pu produire quelques très belles planches de jungle en fond perdu), mais les auteurs ont su laisser parler le dessin. Pas de récitatif redondant, peu de dialogues explicatifs, dans cet album beaucoup de sens est transmis par des expressions ou des mouvements.
Enfin, De Moor a réussi une formidable mise en couleur. Celles-ci sont chaudes, variées et chatoyantes. Elles sont extrêmement significatives et accompagnent merveilleusement le déroulé des événements. De certaines scènes se dégagent une sérénité et un calme évocateurs (voir par exemple le bas de la planche 19).
L’homme est un album de bonne facture qui permet de voyager agréablement. Si le scénario n’est pas révolutionnaire, le dessin mérite le coup d’oeil. Amateurs de BD classique, laissez-vous tenter.
Martin Zeller
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De Moor et Reculé (dessin) / Desberg (scénario), Le Dernier livre de la jungle — Tome1 : “L’homme”, Le Lombard “Polyptyque”, 48 pages couleurs, 12,60 €. |
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