Comment synthétiser le mieux possible ce livre que de reprendre une phrase de son éditeur (Richard Meier) : “C’est l’histoire d’un corps sans carne et sans squelette. Mais c’est tout autant en chair, délicat et tout à fait monumental”. A cela une raison majeure : Pierre Tilman écrit beaucoup mais n’y attache pas forcément la plus grande importance. C’est pour cela que ce qu’il insémine et dissémine venant de partout plutôt que nulle part récure la littérature comme nos existences le font avec la vie.
Pour lui, la poésie est une question de terrain — au besoin vague — bref pas forcément dans les coques en stuc où bien des écrivains la logent et l’accroupissent. L’auteur préfère le poétique de bric et de broc que celle de square. Car cette dernière, dans sa fixité de statue, n’est qu’une occasion pour les pigeons de venir chier dessus.
Or, Tilman a mieux à faire : il déplace le discours par morceaux et fragments et met à l’épreuve les formes qui en surgissent. Linéaire et chaotique, ce procédé laisse entrevoir dans le faire ou dans la forme les signaux faibles d’une relation humaine à la création. En quelques pages et citations, comme le dit un des empruntés (John Giorno), “le monde est dans sa poche”. Et les arts plastiques ou non sont revisités.
Dans la fabrication de cette tension à ceindre le vide dans tous ses états, l’espace de chaque page est comme un langage en suspens mais tout autant consistant, profond, plein de secrets, donné à la fois comme approche du vrai avec humour et rêve mais non sans risque. Le doute est donc permis, l’ironie jamais, en des suites de connexions en transit au fil de ce corpus.
jean-paul gavard-perret
Pierre Tilman, Les papiers du poète ne sont pas en papier, Editions Voix, coll. Le temps du regard, Elme, octobre 2023, 84 p. — 14,00 €.