Sade, Les Mœurs

Sade, le théisme et la république

Si dans Idées sur le roman (édi­tions Mille et une nuits, Paris, 2003) Sade a soin de rap­pe­ler que “ Ce n’est pas tou­jours en fai­sant triom­pher la vertu qu’on inté­resse ”, lorsqu’il passe au dis­cours le pro­pos change quelque peu comme le prouve ce court texte, paroxysme de la phi­lo­so­phie sociale de l’auteur et de ce que son écri­ture engage. L’emprisonnement eut un impact consi­dé­rable sur ses écrits : de ses geôles, il s’est livré à une longue réflexion au sujet des méca­nismes sociaux et reli­gieux. Le Divin Mar­quis fas­ci­nant, révol­tant, révolté, polé­miste, par delà le pou­voir que cer­tains de ses héros font peser sur d’autres, pro­pose — en par­ti­cu­lier dans l’article que les édi­tions de La salle de Bain exhument — une quin­tes­sence de sa pen­sée sociale. A savoir un anti-pouvoir suprême face au pou­voir royal et reli­gieux.
Dans Sade, Fou­rier, Loyola, Barthes avait déjà sou­li­gné la théâ­tra­li­sa­tion que le Mar­quis pro­po­sait dans ses dis­cours et articles contre le théisme. « Les mœurs » est le théâtre dressé sur son abîme. Par­ache­vant “ L’étude pro­fonde du cœur de l’homme, véri­table dédale de la nature doit nous faire voir l’homme, tel que doivent le rendre les modi­fi­ca­tions du vice et les secousses des pas­sions ” comme il le pré­cise dans Les infor­tunes de la Vertu, le texte passe ici de l’individuel au col­lec­tif. C’est un des nom­breux brû­lots où Sade reven­dique un idéal répu­bli­cain et athée. Il est « impos­sible que le citoyen d’un État libre se conduise comme l’esclave d’un roi des­pote» pré­cise celui qui pense que dégagé des « bases si pleines de sophismes » de la reli­gion, un Etat répu­bli­cain avec sa liberté de moeurs et de presse don­ne­rait au monde un visage plus humain.

Sade com­prend tou­te­fois qu’il n’y aurait pas de gain à rem­pla­cer le pou­voir royal par une idole abs­traite. Et l’on sait ce que le culte de l’ « être suprême » jusqu’à celui du « père des peuples » a donné. La confiance en l’homme de l’antiphilosophe des Lumières va ici de paire avec un pes­si­misme qu’on nom­mera aussi maté­ria­liste que métaphysique.

jean-paul gavard-perret

Sade, Les Mœurs, édi­tions de la Salle de Bain, Rouen, 2013 — 12,00 € .

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