Marie-Françoise Ghesquier : oubli mais mémoire, entretien avec l’auteure (Le pont suspendu)

Marie-Françoise Ghes­quier crée un monde fas­ci­nant où jaillissent des “prai­ries marines et des tur­quoises fluides”. Pas éton­nant que Paul Sanda, direc­teur des édi­tions Rafaël de Sur­tis, ait retenu un tel ouvrage.
Y suc­cèdent au réel (qui dérouille) les offices d’une fée dégin­gan­dée qui déploie des néo-légendes pleine d’orgies fan­tas­tiques et punk où tout se cham­boule jusqu’à ce que lec­trices et lec­teurs soient aba­sour­dis et sonnés.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Ce qui me donne envie de me lever le matin, c’est de pen­ser que je vais jouer de la cla­ri­nette avant de par­tir au travail.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Lorsque j’étais enfant, je vou­lais deve­nir écri­vain. J’avais écrit la pre­mière page d’un roman et j’avais fabri­qué la pre­mière de cou­ver­ture avec un des­sin. Je n’ai jamais ter­miné ce roman, mais j’ai tou­jours conti­nué à aimer lire. Plus tard, j’ai décou­vert la poé­sie contem­po­raine et c’est ce qui m’a donné l’envie d’écrire.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne sais pas ! J’ai tou­jours plein de rêves…

D’où venez-vous ?
De la ville de Lyon, des petits vil­lages du Beau­jo­lais avec leurs vignes et leurs pierres dorées.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Je res­semble comme deux gouttes d’eau à mon arrière-grand-mère pater­nelle, c’est bluf­fant ! C’est peut-être la mode belle époque qui accen­tue cet effet car j’aime bien le style rétro…

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mettre des graines pour les oiseaux sur la fenêtre et les regar­der picorer.

Com­ment définiriez-vous votre poé­tique ?
Je dirais que mes poèmes sont comme des vols d’oiseaux qui passent. Tout est inté­rieur, par­fois obs­cur à l’entendement car cela vient des tré­fonds de ce que je res­sens. La nature est tou­jours très pré­sente, avec ce souci du mot juste qui peut cacher une angoisse, une absence.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
“La nuit étoi­lée” de Vincent Van Gogh.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Quand j’étais enfant, le Jour­nal de Tou­tou, Pomme d’Api, Michka le Petit ours, dans la col­lec­tion albums du Père Cas­tor.
La pre­mière lec­ture qui m’a mar­quée est celle de “Feux” de Mar­gue­rite Your­ce­nar. A l’adolescence, ses œuvres roma­nesques dans la col­lec­tion de la Pléiade m’accompagnaient par­tout, même à la piscine.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Le rock’n’roll, le blues, le tango argen­tin, le fla­menco, les musiques d’Europe de l’est…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“L’amour fou” d’André Breton.

Quel film vous fait pleu­rer ?
EO, l’histoire d’un âne qui s’est échappé et le monde est vu à tra­vers ses yeux mélan­co­liques d’animal sen­sible et incompris.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une rou­quine aux yeux bleus.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aurais bien aimé écrire à Luis Sepúl­veda. Je l’avais ren­con­tré au salon du livre de Bron en 2015. Il était le seul écri­vain à qui le public n’avait pas le droit de poser de ques­tions. J’avais pro­testé en disant que c’était de la cen­sure. Or, il se trouve qu’il avait ensuite lon­gue­ment parlé de la cen­sure de la presse en France. Dans les cou­loirs, j’ai croisé son inter­prète qui m’a dit qu’ils avaient beau­coup appré­cié mon inter­ven­tion… Main­te­nant, c’est trop tard pour lui écrire car il a dis­paru lors de la 1ère vague du covid.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La forêt de Bro­cé­liande. J’adore les his­toires de fées et de sorcières.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
En vrac, je cite­rai Mar­gue­rite Your­ce­nar, Vir­gi­nia Wolf, et les poètes Juan Gel­man, Roberto Juar­roz, Fede­rico García Lorca, Henri Michaux, Nuno Júdice, Syl­via Plath, George Oppen, Linda Maria Baros, et bien d’autres.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une orchi­dée blanche.

Que défendez-vous ?
Je défends les valeurs de la soli­da­rité. Je me sens aussi très concer­née par le sujet de l’urgence cli­ma­tique et éco­lo­gique, et je défends le mou­ve­ment des Sou­lè­ve­ments de la Terre. J’espère que l’art, la poé­sie, pour­ront aider à défendre ces sujets.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Peut-être que cette phase veut dire qu’aimer, c’est dési­rer le meilleur pour l’autre, même s’il a des aspi­ra­tions dif­fé­rentes des nôtres, ou même s’il suit un che­min dif­fé­rent du nôtre.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion?“
Woody Allen a un humour extra­or­di­naire, il a vrai­ment l’esprit d’à-propos. Cela me fait pen­ser qu’il n’est pas tou­jours facile de répondre aux ques­tions, comme dans cette inter­view par exemple !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Est-il dif­fi­cile de se livrer, de livrer, sou­vent à des incon­nus, cette part de soi que révèle l’écriture d’un poème ? L’oubli est-il nécessaire ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 15 mai 2023.

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