Sortir des abîmes de Kafka
Guillaume Soulatges est d’abord associé à la scène graphique underground des vingt dernières années. Auteur, dessinateur et éditeur, il co-fonde en 2002 la maison d’édition Stratégie alimentaire, puis anime Culture commune en poursuivant ses dessins en des expositions et livres.
Son travail est largement alimenté d’images issues des sous-produits visuels (catalogues de supermarché, revues pornographiques, guides pratiques illustrés, etc.) dont il se sert de manière plus ou moins narrative.
L’Enfant naturel est formé d’images qui balancent entre un pointillisme réaliste névrotique et un expressionnisme libidinal. Ce récit à la première personne est initiatique au fil d’une jeunesse et adolescence soumises aux troubles, à la pauvreté, à la solitude, aux discriminations et aux coercitions multiples.
C’est la fin des Trente Glorieuses confrontées à une nostalgie morbide mais où le héros est marqué par sa détermination.
D’où le caractère édifiant d’un tel récit où le héros parcourt la campagne entre des fermes vétustes et des granges en ruine pour atteindre la grande ville. Le tout sous le regard indifférent des calvaires et des bêtes sauvages.
Surgit cette errance programmatique vers une « civilisation » qui n’a su que trop bien hiérarchiser la position des êtres selon leur habitat.
Dans ce conglomérat, l’école apparaît comme le cœur des enfers. Elle est peuplée de corps tordus, de faces difformes. En émane la brutalité d’une enfance qui n’a gardé du parfum du jardin d’éden que l’irréductible foi à l’avenir d’un tel héros. Il veut sortir des abîmes de Dante — ou plutôt de Kafka.
jean-paul gavard-perret
Guillaume Soulatges, L’Enfant naturel, Editions Adverse, 2021, 68 p.