Jean-Claude Pinson, Poéthique, une autothéorie

“Ethi­quette” de la poésie

Jean-Claude Pin­son redé­couvre le fil à cou­per le beurre au fil d’essais d’un prêt à pen­ser consommé. Ils se réduisent à une énième mou­ture du lien qui relie la pra­tique poé­tique et l’affirmation de soi. Ou, si l’on pré­fère, du faire et de l’être. Pour enro­ber le tout sous forme de nou­veauté, l’ancien maoïste nomme cela « poé­ta­riat ». En d’autres termes,  le « vrai » poète serait le « bon » pen­seur capable de s’élever contre les puis­sances au nom d’un inté­rêt géné­ral envers l’homme. Néan­moins ce « poé­ta­riat » ne repré­sente ni plus ni moins qu’un huma­nisme dans lequel le poète attein­drait une « conden­sa­tion démons­tra­tive » de la condi­tion démo­cra­tique par une écri­ture dis­tri­bu­tive des « effets de réel » grâce à son « savoir voir ». Voire…
Croyant régé­né­rer la poé­sie au nom d’une force de dyna­mi­tage, l’essayiste la condamne au logos. Celui qui se vou­drait abs­trac­teur de quin­tes­sence confond une nou­velle fois éthique et esthé­tique. C’est vieux comme le monde. Sous cou­vert d’une praxis, émane un hégé­lia­nisme nimbé d’une nos­tal­gie éper­due de la pureté. Ce fai­sant, Pin­son crée une acces­sion à la réa­lité du rien, à la forme la plus accom­plie du chaos. Recy­clant des vieilles lunes, se sou­met­tant à l’ « incoer­cible » rap­port entre la réa­lité et l’art, il se pré­sente dans son « auto­théo­rie » égo­cen­trée comme le poète saint laïque. Croyant écar­ter l’exercice de sa pra­tique de toute ten­dance idéa­liste, il plonge de dedans.

A aucun moment la poé­sie n’est per­çue comme la force hal­lu­ci­na­toire d’un lan­gage qui ne se pense pas afin de tou­cher en des lieux incon­nus de l’être. A savoir, là où il n’existe plus d’image pos­sible mais où il s’agit de réin­ven­ter la parole. Entre les créa­teurs de lan­gage (Artaud hier, Nova­rina aujourd’hui) et le poé­ti­cien qui flêche tout ce qu’il touche en un mora­lisme poli­tique, l’écart est irré­mé­diable. La poé­sie que Pin­son estime opé­ra­tion­nelle se réduit à une cri­tique des néo­ca­pi­ta­lismes mais ne refoule aucun para­digme de res­sem­blance. L’auteur se situe à l’inverse d’un Beckett qui esti­mait que ” la cer­ti­tude de l’expression est un acte impos­sible “.
Compte pour le pre­mier non l’objet-poétique (que le lec­teur reçoit) mais l’acte et la morale qui le sou­tiennent. Il s’agit là du plus grand tru­quage idéa­liste et de la récu­pé­ra­tion per­verse qu’opèrent les idéo­lo­gies. Exit ceux qui ne croient pas à un sens rédemp­teur. Sous pré­texte de la valeur sociale de la poé­sie, la dupe­rie — ou au moins l’illusion — n’est jamais loin. L’acte poé­tique n’a plus rien d’un effer­ves­cent contact avec le halo de l’inconnu et du non cir­cons­crit — « Enfer ou ciel qu’importe » disait Bau­de­laire. Dès lors le ter­ro­risme revient dans ses péré­gri­na­tions et vati­ci­na­tions cache-misère.

En croyant sor­tir la poé­sie du féti­chisme et de la valeur mar­chande, se vou­lant post­mo­derne, l’auteur laisse prendre ses ves­sies pour des lan­ternes. On lui rap­pel­lera que le fameux mot d’ordre visant à défi­nir la poé­sie sous le double registre néga­tif  “ni totem, ni fétiche” sonne non seule­ment comme un vœu pieux mais — disons le crû­ment — comme un piège à cons. Pin­son ne fait donc que rem­pla­cer à tra­vers ses pen­sums une reli­gio­sité par une autre.
Bre­ton lui-même, dans Les pas per­dus, met­tait pour­tant en garde contre le risque du ” coupe-gorge de la thèse “. Elle entraîne la poé­sie vers une impasse. Sous pré­texte de tuer ses vieilles images naïves et sourdes, beau­coup de poètes n’ont fait — en habiles maque­reaux — que les habiller de plas­trons. Pin­son sous pré­texte de défendre une « etho­poé­tique » reste à leur image d’un conser­va­tisme crasse. Il se pare de toutes les cica­trices des batailles qu’il n’a jamais livrées. Le pré­tendu révo­lu­tion­naire n’est que clerc parmi les clercs. A celui qui attend de la poé­sie son auto-élévation, on répon­dra en para­phra­sant la phrase de Bram van Velde sur la pein­ture : « ce que j’aime dans la poé­sie c’est que c’est plat ».

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Pin­son, Poé­thique, une auto­théo­rie, Champ Val­lon, Seys­sel, 013, 332 p. — 25,00 € .

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